Clinic n° 11 du 01/12/2009

 

GÉRER

ÉQUIPE ET ESPACE

Anne-Chantal de Divonne  

Sa coopération tout juste achevée, François Truchot, originaire de Marseille, s'installe aux Antilles anglaises. Depuis 15 ans, il y développe les capacités de son cabinet... de ses cabinets implantés aujourd'hui sur 3 îles différentes. Et c'est aux commandes de son avion qu'il se déplace de l'un à l'autre au cours de la semaine.

Libéré de sa coopération sur l'île Sainte-Lucie aux Antilles en 1992, François Truchot ne regagne pas la métropole. Il décide de construire son cabinet dentaire à Saint-Vincent-des-Grenadines, une île de langue anglaise. « Mon premier défi », se souvient ce chirurgien-dentiste diplômé à Marseille. Bien d'autres suivront. Car notre praticien fourmille de projets pour développer son activité. Après un an de collaboration en Martinique, il ouvre son cabinet de Saint-Vincent avec une assistante. Le tandem du départ s'étoffe rapidement en même temps que des méthodes américaines de management sont mises en place. L'objectif est « de rentabiliser mon temps et d'optimiser les procédures sans compromettre la qualité des soins », explique-il.

Comme un ballet

Aujourd'hui, le cabinet compte 9 personnes. Un « office manager » gère les stocks, les commandes, les factures ainsi que les relations avec les sociétés d'assurances qui acquittent jusqu'à la moitié des honoraires des patients assurés. Les prothèses amovibles sont réalisées sur place par une ancienne assistante reconvertie. Les prothèses fixées sont confiées à un laboratoire à Hong Kong et récupérées en 10 jours. Deux réceptionnistes alternent pour recevoir les patients et les appels. Trois assistantes dentaires prennent en charge les patients et se relaient au fauteuil. Elles préparent le plateau, installent les patients, réalisent certains soins « simples », comme les sealents, la prise d'empreinte, le blanchiment, le traitement au fluor... Elles sont aussi chargées de conseiller et d'éduquer les patients. Un rôle important à Saint-Vincent où nombreux sont encore ceux qui prennent rendez-vous « pour se faire arracher une dent ». Petit à petit, les explications répétées font leur effet. « Maintenant, des patients prennent rendez-vous pour une dévitalisation et une couronne. Cela fait vraiment plaisir. J'ai le sentiment de ne pas perdre mon temps », note François Truchot !

L'organisation du cabinet est minutieusement réglée. Dès la première visite, le patient est au courant du travail à faire, du nombre de visites et du prix qu'il devra acquitter. Les rendez-vous sont codés en fonction des travaux à réaliser. Tout est prêt quand le chirurgien-dentiste entre dans la salle de soins. Il n'a plus qu'à intervenir sur son patient déjà installé sur le fauteuil. « C'est un vrai travail d'équipe. Comme dans un ballet, quand tout est bien préparé, les enchaînements se font sans heurts. Je n'ai plus qu'à enfiler mes gants pour travailler et créer. Je m'amuse dans mon boulot. C'est excitant. Je suis devenu beaucoup plus clinicien » remarque, ravi, François Truchot. Et quand des blocages apparaissent, la réunion hebdomadaire du personnel permet de faire les mises au point nécessaires.

Cet ordonnancement permet de soigner plus de 40 patients par jour au cours de 3 journées de travail intense, de 7 h 30 à 21 heures, les mardis, mercredis et vendredis. Les relations avec les patients ne sont-elles pas amoindries par ce rythme ? « Pas du tout, s'étonne François Truchot, le contact avec le patient est toujours là ! Le soin lui-même est très rapide. Et puis je parle toujours pendant les traitements. Sauf quand je suis en colère. Alors, je me tais en donnant comme excuse d'avoir à me concentrer sur mon travail ! »

Mais les murs du cabinet de Saint-Vincent s'avèrent trop étroits. Aussi, quand un médecin propose il y a quelques années à François Truchot de créer un petit cabinet dentaire au sein du complexe hôtelier de Moustique, l'île voisine, il n'hésite pas. « J'aime créer, le fonctionnement m'ennuie », explique-t-il encore. Sur ce petit bout de terre des Caraïbes, très prisé des touristes, il monte le seul cabinet dentaire avec un équipement minimal. Et c'est aux commandes de son avion qu'il s'y rend chaque lundi avec son assistante, pour réaliser des actes de prévention et des soins de base. Une occasion similaire se présente sur l'île de Canouan. Une nouvelle équipée en avion est programmée le jeudi matin pour les soins de base. Les travaux plus importants restent planifiés à Saint-Vincent qui concentre tous les équipements, y compris la radiographie panoramique.

La semaine déjà bien remplie s'achève sur « le » rendez-vous du samedi : une consultation de plusieurs heures à destination des patients « qui préfèrent refaire toute leur bouche en une fois parce qu'ils n'ont pas le temps de se faire soigner régulièrement ».

Nouveaux défis

Mais aujourd'hui, à « un moment charnière » de sa vie professionnelle, François Truchot se lance d'autres défis. Il investit 1 million de dollars, en association avec un autre chirurgien-dentiste de Saint-Vincent, dans la construction d'un centre dentaire de 780 m2. Celui-ci pourra abriter, dès le premier trimestre de 2010, jusqu'à 6 praticiens et 15 salariés pour 8 fauteuils, une salle de chirurgie et un laboratoire de prothèses. Une assistante dentaire actuellement en formation au Canada va devenir hygiéniste et une « dental nurse » sera recrutée pour les enfants.

La fermeture prochaine du premier cabinet de Saint-Vincent va aussi permettre au praticien de concrétiser d'anciens projets à Béqué (6 000 habitants) et la Union (2 000 personnes). Pour ces îles où il n'y a pas encore de chirurgien-dentiste, François Truchot avait imaginé d'ouvrir un cabinet flottant. Mais il y a renoncé à cause des coûts de maintenance trop élevés. Une installation « en dur » est maintenant envisagée avec le matériel récupéré du cabinet qui va fermer. Un chirurgien-dentiste y exercerait à mi-temps sous l'égide de la nouvelle structure. « Je n'ai pas besoin de ce cabinet car 15 % des habitants de Béqué sont déjà mes patients, reconnaît François Truchot. Mais c'est un nouveau défi. J'aime repousser les limites. Et je vis dans une région du monde où l'on peut encore s'exprimer sans crouler sous des tonnes de papier ! » Et en prenant l'avion pour se rendre dans ses cabinets dentaires.

L'exigence des îles

Exercer sur de petites îles demande une large polyvalence. Il faut pouvoir se muer en chirurgien maxillo-facial la nuit du 24 décembre pour opérer un accidenté de la route, se transformer en urgentiste pour aider un confrère débordé par un saignement consécutif à une extraction, ou encore régler des problèmes d'orthodontie car l'orthodontiste n'est présent que 1 jour toutes les 5 semaines. Exercer loin de tout exige aussi de prévoir le pire sur le plan matériel. « La casse est ma hantise. Mais je ne suis jamais resté en panne plus d'une heure et demie », explique François Truchot. Son secret ? Comprendre le fonctionnement de chaque équipement, stocker du matériel en double pour le « cas où », conserver un minimum de 3 mois de stock, mettre l'électronique sur ondulateur, utiliser des turbines jetables et, surtout... savoir bricoler !