Clinic n° 10 du 01/11/2009

 

GÉRER

PASSIONS

Golfeur de haut niveau, fashion victime de style british ou encore fou amoureux de vin et de cuisine : ce pharmacien italien, aux passions multiples, a trouvé le temps de créer, il y a 4 ans, un dentifrice pour les gourmets.

Une pâte verdâtre jaillit du tube blanc, tandis qu'une légère odeur de clous de girofle envahit la pièce. En bouche, pendant que l'on brosse activement, la langue est émoustillée par une sensation crémeuse. Au final, dents blanches, haleine fraîche mais sans présence de menthe. À défaut d'un verre de vin, on avale un thé pour voir si le produit a bien fait son effet : oui, le dentifrice pour « oenogastronomes » d'Andrea Nicola fonctionne. À 40 ans, ce pharmacien, installé à Aoste, ville italienne encerclée par les Alpes, est l'inventeur d'un dentifrice pour gourmets qui nettoie dents et palais mais respecte les papilles et ne laisse pas de goût en bouche. Un produit idéal pour les adeptes de dégustations et presque indispensable pour cet homme infiniment passionné par les arts de la table.

« Un de mes hobbies est le monde du vin et de la cuisine. Je fais partie de l'Académie italienne de la cuisine, j'écris dans des revues oenogastronomiques... » raconte calmement le pharmacien, chemise rayée et col ouvert, dans son petit bureau situé au-dessus de son officine. « Il y a 3 ans, j'ai ressenti la nécessité de créer un dentifrice qui respecterait au maximum les papilles gustatives et l'équilibre de la bouche. La majeure partie des dentifrices est à base de menthe ou fortement salée, ce qui est très mauvais pour la dégustation. Je voulais, au contraire, faire quelque chose de délicat. » Une fois l'idée trouvée, l'« eurêka ! » a été prononcé de nuit, pendant un tour de garde dans la pharmacie. La recette secrète d'Andrea Nicola ? « De la sauge, une pointe d'argile et des arômes naturels, énumère-t-il. J'ai fait de nombreuses recherches pour trouver quelque chose qui n'irrite pas les muqueuses. »

Les touristes font le détour

Après la création, tout est allé très vite pour le pharmacien. Pour la fabrication, il décide de s'adresser à un laboratoire situé dans une ville voisine : « Techniquement, il fallait peaufiner le dosage. Et puis, le laboratoire était la meilleure solution d'un point de vue logistique et fiscal », précise-t-il. Le brevet est déposé sans aucune difficulté auprès de la chambre de commerce d'Aoste en mai 2005. Quelques mois plus tard, le dentifrice pour gourmets est lancé sur le marché. Le succès est immédiat. Deux des plus grands restaurateurs italiens, Antonello Colonna et Davide Scabin, affirment l'utiliser. La presse, inévitablement, en parle. Et 3 ans plus tard, Andrea Nicola a déjà vendu 5 000 tubes de sa trouvaille !

Aujourd'hui, les touristes, amateurs de bonne chère, font le détour par son officine pour acquérir le fameux tube de 100 grammes (prix 9,80 euros). Le dentifrice est également en vente dans des restaurants de prestige, type Relais & Châteaux, ainsi que dans des pharmacies du Piémont et de la vallée d'Aoste. Mieux, les commandes sont également possibles partout dans le monde, « il suffit de contacter mon distributeur* et d'acheter au minimum 12 tubes de dentifrice », note avec sérieux Andrea Nicola de sa voix grave. Le pharmacien d'Aoste se serait presque transformé en businessman de l'opiat ** ... Quoique. Pour lui, cette aventure reste avant tout un jeu. Pour preuve, il argue du faible montant de son investissement financier : « Ma mise de départ n'atteignait même pas 1 000 euros, sourit-il. Parce que je ne voulais pas faire un dentifrice de la dimension de Colgate ! À la base, je voulais offrir quelque chose à mes amis, aux producteurs de la vallée, qui me laissent souvent leurs produits comme cadeaux. Ce dentifrice est né comme ça, sans intention de faire du business. Cela reste avant tout un hommage à ces personnes avec qui je partage cette passion de la bonne chère. »

N'empêche, grâce à son invention, Andrea Nicola a gagné en notoriété. « Cela m'a donné l'occasion de connaître des personnes du monde culinaire, comme des affineurs de fromage », admet-il. Un temps, le célèbre affineur de fromages italiens, Guffanti, séduit par ce dentifrice à même envisagé de le distribuer partout dans le monde. Andrea Nicola pourrait donc un jour faire partie de cette lignée des « pharmaciens inventeurs » - dont le plus célèbre reste sans doute John Pemberton qui, au XIXe siècle, à Atlanta, a inventé le Coca-Cola.

Pharmacien cravaté

Mais ce destin n'intéresse pas le pharmacien italien. Car cet amoureux du val d'Aoste, très bon joueur de golf (handicap 7), donne la priorité à une autre passion, loin des médicaments et des ordonnances. « J'ai toujours adoré les vêtements, la mode classique, dans le style british, souffle-t-il. Quand j'ai fait mes études de pharmacie, à Gênes, il y avait la boutique d'un des cravatiers les plus importants d'Italie. Je me rappelle qu'à chaque examen réussi, mes parents m'en offraient une. » Et de cravate en cravate, notre pharmacien/golfeur/créateur et gourmet a fondé, il y a 4 ans, avec sa femme et des amis, la griffe Valgrisa. « Mon invention du dentifrice est intéressante, mais le plus important, pour moi, c'est cette ligne de vêtements. Je passe toutes mes heures hors boulot à faire ça. » La griffe est distribuée dans 40 points de vente dans le monde, dont une boutique à Val-d'Isère. Dans son officine de 300 m2, située en plein centre-ville face à un pré rempli de vaches, Andrea Nicola rêve aujourd'hui de faire la une des magazines de mode. Même s'il trouve encore le temps de jouer les Archimède, pendant ses tours de garde. Son dernier projet ? Il s'apprête à lancer une ligne de produits cosmétiques 100% naturels.

* www.dentifricio enogastronomi.it ** Sens dérivé de « opiat » : mélange de miel et de glycérine utilisé comme pâte dentifrice au XVIIIe s. Article paru en avant-première dans le Moniteur des pharmacies n° 2754