Clinic n° 10 du 01/11/2011

 

LE GRAND ENTRETIEN

Anne-Chantal de Divonne  

La diffusion du cone beam CT s’accélère. Pourquoi les chirurgiens-dentistes s’équipent-ils ? Bonnes ou mauvaises raisons ? Dominique Le Denmat et Benjamin Salmon décryptent pour Clinic les avancées indéniables permises par cet appareil de radiologie et les perspectives prometteuses, mais aussi les utilisations déviantes. Aujourd’hui, des enseignements adaptés apparaissent nécessaires.

 L’explosion des ventes de cone beam CT (2) dans les cabinets dentaires est-elle justifiée ?

D. Le Denmat : Les images modernes et tridimensionnelles du cone beam CT révolutionnent la pratique de la radiologie dentaire. À condition d’être correctement indiquée, cette imagerie permet au chirurgien-dentiste de poser un diagnostic plus précis.

B. Salmon : Les progrès techniques et cliniques apportés par cet outil sont indéniables. En évitant d’externaliser les examens radiologiques tridimensionnels dans des cabinets de radiologie générale, les chirurgiens-dentistes peuvent être aujourd’hui plus autonomes car ils obtiennent, sur place, les images exactes de coupe qu’ils recherchent. La prise en charge thérapeutique est ainsi plus rapide et valorisée.

 On reproche les surprescriptions avec cet appareil…

B. Salmon : Pour doper les ventes, les constructeurs s’appuient trop souvent sur la dosimétrie avantageuse du cone beam CT par rapport au scanner à rayon X (tomodensitométrie) et n’hésitent pas à proposer des plans de rentabilité fondés sur le nombre d’examens pratiqués annuellement. Ce genre de message, associé à un accès direct et facilité au dispositif d’imagerie, peut favoriser un recours trop systématique et une multiplication d’examens radiologiques non justifiés. À l’image de la commercialisation de ces appareils, la littérature internationale explose sur le sujet et des recommandations professionnelles/guides de bonnes pratiques émergent : le praticien doit s’y référer.

D. Le Denmat : La formation en radiologie n’a pas suivi l’évolution spectaculaire de la technologie. C’est un problème car le message fondamental concernant les indications du cone beam CT n’est pas bien connu. Cet appareil ne doit être utilisé qu’en seconde intention. D’autres moyens radiologiques moins invasifs et cliniques sont à privilégier en première intention.

B. Salmon : Le manque de formation est aussi responsable de connaissances parfois insuffisantes quant à l’interprétation de l’ensemble des images fournies par le cone beam CT. Celui-ci explore non seulement les dents mais aussi les régions maxillo-faciales, voire l’ensemble de la tête avec les appareils grand champ. Le praticien qui réalise ces images doit en théorie être capable de les interpréter dans leur globalité. Sa responsabilité peut être engagée s’il passe à côté d’une pathologie visible alors qu’il s’est focalisé sur la région dentaire d’intérêt. Consciente de ce problème, la Haute Autorité de santé (3) recommande à la profession de n’utiliser que des cone beam CT à petit champ (8 × 8 cm) et insiste sur la nécessité d’une formation académique adaptée à cette nouvelle modalité.

 Quand utiliser le cone beam CT ?

D. Le Denmat : C’est donc un examen essentiellement de seconde intention parce que la résolution de l’image est, aujourd’hui encore, moins bonne que celle des radiographies intraorales. Les tests que nous réalisons montrent une précision de 100 µm pour un cone beam CT, de 25 µm pour un cliché numérique intraoral et de 10 µm pour le bon vieux cliché argentique qui reste encore inégalé. En revanche, l’image donnée par le cone beam CT a le grand avantage d’être en volume. L’utilisation du cone beam CT est plus propice à un exercice orienté notamment vers la chirurgie buccale et l’implantologie…

B. Salmon : Cet appareil présente l’avantage de pouvoir fournir des images en taille réelle dans tous les plans de l’espace et donc sans superposition de structures anatomiques. Ces images peuvent donc aussi être intéressantes en endodontie, en parodontie et en orthodontie. De plus, les acquisitions radiologiques en volume fournissent les données indispensables qui alimentent les dispositifs de conception et de planification assistées par ordinateur. Cependant, certaines sociétés laissent entendre que ces techniques sont accessibles avec une formation sommaire. En réalité, elles réclament non seulement de très bonnes bases chirurgicales mais également un enseignement spécifique. C’est pourquoi l’implantologie assistée par ordinateur reste encore réservée à un exercice plutôt exclusif.

→ Le chirurgien-dentiste est-il soumis à des règles lorsqu’il se procure un cone beam CT ?

D. Le Denmat : C’est une technologie naissante. La réglementation est en constante évolution. La seule obligation du praticien est donc de l’installer conformément à la réglementation (4) et de le déclarer à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en tant que générateur de radiologie.

B. Salmon : Dans le cadre de ses missions de matériovigilance, l’AFSSAPS souhaite élaborer des méthodes pour garantir la constance de la qualité de l’image. C’est normal car ces machines complexes doivent être optimisées et régulièrement entretenues. Mais nous devons être vigilants sur la forme. Un exemple : les procédures de contrôle des mammographies s’avèrent tellement contraignantes qu’elles vont exclure du parc 28 % des machines ! Nous n’en sommes heureusement pas là pour les cone beam dentaires mais les instances doivent prendre en compte la réalité du terrain…

D. Le Denmat : Mon action à l’AFSSAPS vise à apporter des arguments afin que les procédures de contrôle de la qualité ne soient pas surdimensionnées mais qu’elles servent le clinicien et le patient. La plupart des acheteurs de cone beam CT ne savent pas qu’ils vont devoir mettre en place une procédure de contrôle, se procurer un objet test approprié et former du personnel. Les assistantes dentaires n’ont pas le droit de réaliser des clichés sur les patients mais elles seront habilitées à effectuer ce test qui pourrait mobiliser la machine quelques heures. La fréquence des tests n’est pas encore tranchée.

→ Ces réglementations concernent la qualité de l’image. Qu’en est-il des doses de rayons ionisants ?

D. Le Denmat : Les experts se montrent extrêmement préoccupés par l’accroissement du parc de cone beam CT en France. Les doses mises en œuvre sont certes plus faibles que celles d’un scanner conventionnel, mais leur répétition et le fait qu’elles concernent des zones radiosensibles du corps humain doivent nous inviter à la plus grande prudence. Nous devons tous œuvrer à la diminution de la dose radiologique collective.

B. Salmon : Une grande source de confusion vient du fait que l’on s’intéresse souvent à la dose collective, c’est-à-dire reçue par l’ensemble d’une population, et non à la dose individuelle. Un indicateur de dose individuelle est statistiquement difficile à mettre en place car le parc est très hétérogène. Et aujourd’hui en France, aucun protocole commun d’étude dosimétrique n’a été encore défini afin de comparer le niveau des doses délivrées en fonction des appareils et des examens.

En revanche, on sait que la dose collective augmente fatalement avec la progression du parc de machines car le nombre des examens progresse. Or, cette progression est médicalement bénéfique lorsque l’examen est justifié et permet d’améliorer les diagnostics et les thérapeutiques. Tout réside finalement dans la justification et l’optimisation de cet examen.

D. Le Denmat : Nous sommes dans une période de foisonnement un peu comparable à celle de l’arrivée des techniques numériques dans le domaine dentaire il y a 15 à 20 ans. Les techniques numériques ont conduit à une multiplication de nos examens car, si un cliché était raté, on pouvait le refaire immédiatement sans attendre un développement de plusieurs minutes et sous prétexte que la dose engagée était moindre…, d’où un certain laxisme dans la mise en œuvre des techniques. Dans le cas du cone beam CT, il faut essayer de se projeter dans quelques années lorsque les indications seront mieux connues et respectées des praticiens et que les fabricants auront des machines également plus performantes, adaptées et économes en doses. On retrouvera alors une certaine sérénité.

→ Dans quelles directions sont menées les recherches visant à améliorer la qualité de l’image tout en restant économe en doses de rayons ?

D. Le Denmat : Jusqu’à présent, sauf saut technologique, l’équation a toujours été assez simple : pour gagner en finesse d’image, on augmente les doses de rayons. Diverses autres pistes prometteuses sont explorées. Dans le cadre du projet Raftix (5), nous travaillons par exemple à la possibilité pour le praticien de faire appel à des bases de données, des atlas déformables d’images qui soient adaptés au cas du patient examiné. Nous prévoyons par exemple d’effectuer un suivi longitudinal du patient. Après un premier examen approfondi mené avec la dose de rayons ionisants nécessaire à une bonne image, les examens de contrôle suivants seront beaucoup plus économes en rayons. Les résultats recalés sur l’image initiale permettront d’observer l’évolution et le suivi du traitement. Nous nous intéressons aussi à une imagerie multimodale. Le projet Raftix imagine ainsi de fusionner des images d’origines diverses dont les apports sont différents : IRM, cone beam ou encore échographie. Et puis, toujours dans le cadre du projet, nous cherchons à analyser par l’image la structure chimique des tissus, par exemple la teneur en calcium.

Nous sommes à l’aube d’avancées majeures en matière d’imagerie radiologique multidimensionnelle. Les nouvelles perspectives de recherche et développement permettent aujourd’hui d’affirmer que le cone beam CT sera, dans les 10 prochaines années, une des techniques novatrices majeures de l’imagerie biomédicale.

(1) Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.

(2) Cone beam CT, qui signifie cone beam computed tomography, est le terme exact pour cet appareil. Cone beam seul signifie faisceau conique.

(3) HAS. Elle a produit, en décembre 2009, un rapport d’évaluation technique sur le cone beam CT.

(4) Normes NF 1516 et NF 15163. Attention, les installateurs étrangers ne connaissent pas nécessairement ces normes qui ne sont pas en vigueur dans leurs pays d’origine.

(5) Le Laboratoire de radiologie de Paris Descartes participe au projet Raftix sponsorisé par le groupe Thalès, leader mondial en matière de fabrication de capteurs plans. Avec 14 autres partenaires, il va participer à la création de dispositifs d’imagerie faible dose innovants.

Une phase d’équipement exponentielle

2011 : 1 200 appareils estimés

Octobre 2010 : 900

Juin 2010 : 700

Juin 2009 : 50

ET LA COTATION ?

D. Le Denmat : Malgré la recommandation de la HAS, l’examen du cone beam CT n’est pas reconnu. L’immobilisme des autorités dans ce domaine conduit à un dévoiement de la technique initiale. Des fabricants montrent aux praticiens qu’ils peuvent transformer une image de cone beam CT en une image panoramique et la coter comme telle. C’est catastrophique car la dose de rayons délivrée est quasiment 2 fois plus importante que celle d’un appareil panoramique.

B. Salmon : Tant qu’il y avait peu de cone beam CT, les indications restaient très conventionnelles et liées à l’implantologie, alors même que les implants n’étaient pas non plus pris en charge. Aujourd’hui, cette technique d’imagerie peut être indiquée en seconde intention dans des cas précis très intéressants. Ce serait vraiment dommage de se priver de cet examen parce qu’il n’est pas pris en compte dans la nomenclature.

ELABORATION D’UN PLAN DE TRAITEMENT COMPLEXE

→ Le service d’odontologie de l’hôpital Bretonneau a installé, en mars dernier, un cone beam CT grand champ. Pour l’orthodontiste Alain Decker, qui utilise l’imagerie 3D depuis 2002 dans le but de détecter des asymétries faciales et prévisualiser les traitements associant la chirurgie, l’implantologie et l’orthodontie, c’est une nouvelle étape, car l’appareil est moins gourmand en rayons que le scanner, ses images ont un coût moins élevé et il s’adapte mieux à l’univers dentaire. Aujourd’hui, comme en architecture, lorsqu’il a vu son patient et obtenu son accord, Alain Decker construit et prévisualise un plan de traitement complet à l’aide d’un logiciel et fixe les différentes étapes de sa réalisation en lien avec le chirurgien. D’ici à quelques semaines, toute la chaîne d’élaboration du plan sera numérisée grâce à l’adaptation d’un scanner optique directement sur le cone beam CT. Ce nouvel appareil fournira les empreintes numériques qui auront l’avantage, très appréciable, d’être créées sans envoyer de rayons.