Clinic n° 10 du 01/11/2009

 

SOCIÉTÉ

GÉRER

INTERNET

Philippe DE JAEGHER  


ph.de-jaegher@orange.fr

L'Internet, fabuleux outil de communication, joue un rôle grandissant dans l'émergence et le développement d'associations de malades. L'odontologie est-elle concernée par cette évolution ?

Les chirurgiens-dentistes traitent des pathologies et mettent en oeuvres des thérapeutiques qui font rarement courir un risque vital à leurs patients. Les quelques drames qui surviennent étant des cas isolés, les praticiens pourraient se croire à l'abri d'actions collectives de plaignants et continuer à pester contre les contraintes réglementaires qui s'ajoutent les unes aux autres. Toutefois, l'arsenal thérapeutique dont nous disposons est devenu plus invasif. La mise en oeuvre de produits manufacturés et leur traçabilité permet l'éventuelle définition d'un groupe de patients ayant reçu un produit donné. Si celui-ci s'avère nocif, les conditions d'une action collective sont réunies.

C'est le scénario qui s'est produit avec les implants Vitek®, commercialisés entre 1983 et 1988 et destinés à remplacer le disque articulaire temporo-mandibulaire par un matériau à base de Téflon®(1). Près de 26 000 personnes ont reçu ces prothèses aux États-Unis. Dès la première année, il était rapporté des cas de dégénérescence des articulations. En 1984, on mettait en évidence la fragmentation du Téflon® et l'induction de réactions inflammatoires à cellules géantes, avec des conséquences dramatiques pour les patients. En 1987, des plaintes en justice contre le fabriquant étaient engagées. Ce dernier retirait une partie de ses produits, puis se mettait en faillite en 1990. La Food and Drug Administration (FDA) retirait son agrément, puis saisissait et détruisait tous les implants de la marque en 1992. Après avoir mené une campagne de mise en garde, elle lançait un programme de recensement des patients. Plus de 2 200 plaintes ont été déposées contre Vitek® ou la firme Dupont® fabriquant le Téflon®. Mais le laxisme des agences gouvernementales a également été mis en cause. En 2007, la Cour supérieure de l'Ontario a certifié un recours collectif contre Santé Canada(2).

Une association, la Temporo Mandibular Joint Association, a été à l'avant-garde de l'organisation des victimes(3). Créée en 1986 à l'initiative de malades, elle a joué un rôle de tout premier plan dans l'élaboration des recommandations du National Institute of Health en 1996. Celles-ci ont rappelé qu'il n'y avait pas d'études cliniques validées pour déterminer le meilleur traitement des troubles temporo-mandibulaires et ont recommandé la plus grande prudence, particulièrement en ce qui concerne la chirurgie. Ce constat n'a pas empêché l'association de participer activement à l'évolution de la recherche, en représentant les malades aux conférences de consensus ou en recrutant ces derniers pour différentes études cliniques. Elle utilise toutes les possibilités de l'Internet, des forums aux réseaux sociaux avec Facebook ou Twitter, pour permettre aux malades de partager leurs expériences(4).

Ainsi, les patients deviennent des acteurs à part entière de l'élaboration des connaissances mais aussi des dispositions légales, comme l'a montré la genèse de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

(1) Wall Steet Journal (article du 31 août 1993) ~lakes/BMEJawImplant.pdf

(2) Cabinet Ogilvy Renault, action collective contre Santé Canada :

(3) Temporo Mandibular Joint Association :

(4) TMJ Association sur Twitter :