ENQUÊTE
Cette année encore, le congrès de l'ADF battra certainement des records. Mais qu'est-ce qui fait ainsi courir visiteurs, congressistes et exposants ? Comment comprendre l'engouement suscité par ce rendez-vous automnal désormais « implanté » dans le paysage dentaire ? Retour sur une histoire, balade dans les préparatifs d'un événement professionnel qui ne ressemble à aucun autre...
n« Tu passes à l'ADF cette année ? » La question est devenue rituelle. Car depuis plus de 35 ans, « tout le dentaire » se retrouve au Palais des Congrès, à Paris, dernière semaine de novembre, pour exposer, se former, peaufiner les emplettes du cabinet, retrouver des confrères... Tout est organisé pour que, de l'exposant au congressiste, en passant par le conférencier, chacun trouve son compte dans cette manifestation qui n'en finit pas de battre des records et repousse chaque année les murs de la Porte Maillot.
En 2009, 374 exposants occuperont 22 000 m2, soit 11 500 m2 de stands construits. Il y a 13 ans, 251 exposants se répartissaient un espace de 5 000 m2 et, il y a 8 ans, ils étaient 308 sur 8 300 m2. Les chiffres sont parlants.
À quelques semaines de l'inauguration, le nombre de congressistes reste beaucoup plus aléatoire. Meyer Fitoussi, trésorier de l'ADF, table sur 7 000, un chiffre en retrait par rapport aux dernières « années record »; en 2006, le lancement du système des points de formation continue obligatoire a fait bondir le nombre d'inscrits à 6 500, à 9 500 en 2007 et à 9 000 en 2008 (en 1996, rappelons qu'ils n'étaient « que » 3 500 !). Il faut dire que pour les praticiens peu habitués aux cycles de formation, le calcul est simple : en s'inscrivant au congrès ADF, on peut faire le plein des points annuels nécessaires.
Le tassement relatif prévu n'empêche pourtant pas les organisateurs de proposer un grand nombre de séances. Il y en aura 140 cette année, contre 120 en 2007.
En ce qui concerne les visiteurs, la progression est permanente : 22 000 en 2004, 24 000 en 2007, 25 000 en 2008, avec une audience internationale elle aussi croissante. L'an passé, l'ADF a accueilli plus de 4 000 praticiens étrangers, issus de 100 pays - en majorité de Belgique, d'Algérie, de Suisse, du Maroc, de Tunisie, d'Allemagne et d'Italie.
Jusqu'au dernier moment néanmoins, un « invité imprévu » peut remettre en question ces courbes ascendantes. On se souvient de quelques grèves « destructrices » par le passé ! Mais alors que la crise ne semble avoir aucun effet, le risque pourrait-il venir, en 2009, de la grippe A ?
Ces « records » successifs permettent de prendre la mesure du chemin parcouru depuis la première manifestation, en 1972, dans les locaux de la Maison de la Chimie à Paris. L'ADF n'est alors qu'une fédération regroupant 21 associations dentaires, créée au lendemain d'états généraux tenus en 1968. Son but est d'affirmer le rôle médical de la profession et son autonomie par rapport aux médecins, mais non d'organiser un congrès. D'ailleurs, le jeune organisme dispose de bien peu de moyens. Le premier rendez-vous naît en réalité de la fusion de deux manifestations : la Semaine odontologique internationale, organisée par la Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD) et quelques fournisseurs, et les Journées dentaires de Paris (JDP). Quoi qu'il en soit, cette nouvelle formule - celle d'une exposition dans le cadre du congrès pour obtenir une unité de temps et une unité de lieu - a traversé les décennies.
Toute la difficulté est alors de trouver le lieu le mieux adapté. En 1973, le congrès s'installe dans un espace plus vaste, Porte de Versailles. Mais l'exiguïté laisse place à une absence d'insonorisation des salles de conférence... La solution sera trouvée pour le congrès de 1974 qui « s'offre » alors... le Palais des Congrès qui vient tout juste de sortir de terre, Porte Maillot. Il ne le quittera plus. 1979 marque une étape décisive pour l'ADF avec l'organisation du congrès mondial qui rassemble 16 pays. Son succès permet de valoriser la France à l'échelle internationale et marque la capacité de l'ADF à gérer un grand événement.
Mais les relations se dégradent avec l'industrie. Au début des années 1980, le Comident décide d'organiser sa propre manifestation biennale, le SITAD (Salon des industries et techniques pour l'art dentaire), Porte de Versailles. Par souci d'économie. Les relations entre l'organisme industriel et l'ADF entrent alors dans une période de fortes turbulences. « Le contexte était très différent, se souvient Daniel Viard, aujourd'hui vice-président du Comident. C'était l'âge d'or de l'odontologie. Le dentaire était une niche hyperprotégée dans laquelle fournisseurs et praticiens vivaient très confortablement. En même temps, les associations de chirurgiens-dentistes voulaient tout contrôler et maîtriser... Cela a abouti à une bataille à couteaux tirés entre professionnels et revendeurs. Les deux manifestations marchaient très bien, mais les industriels, et plus particulièrement les importateurs, se plaignaient de devoir se dédoubler. L'une des deux devait s'arrêter. Plutôt que de maintenir une guerre sans merci, nous avons fini par nous entendre. Nos intérêts sont tellement communs ! » Entre-temps, les hommes ont changé. Du côté de l'ADF, Patrick Hescot, devenu secrétaire général en 1995, travaille ainsi avec Christian Lemaur, qui s'occupe plus particulièrement de l'exposition, à la reprise du dialogue.
Une convention sera finalement signée en 1999 entre le Comident et l'ADF. Elle concrétise la fusion du SITAD et du congrès en une seule exposition annuelle. Concrètement, les exposants sont clients de l'ADF qui signe un contrat de gré à gré de location de stand avec chacun d'eux et garde ainsi toute liberté dans son programme de formation. Cette situation est très particulière à la France. À l'étranger, c'est l'industrie qui « sponsorise » la formation en organisant l'exposition.
L'accord avec le Comident est encore trop récent pour s'appliquer lors du grand congrès mondial de 2000 qui marque les 100 ans de la Fédération internationale dentaire (FDI) - entre-temps, l'extension du Palais des Congrès, intervenue en 1995, a augmenté la surface d'exposition potentielle. Mais dès 2001, un Comité d'exposition, géré paritairement par l'ADF et le Comident, assure l'implantation de l'exposition et la répartition des stands. « Nous travaillons main dans la main », affirment encore aujourd'hui les deux responsables, Christian Lemaur, président, et Daniel Viard, vice-président.
Et le regroupement se révèle payant. Les exposants sont globalement fidèles : 85 % d'entre eux reconduisent chaque année leur participation. Les autres ont disparu ou se sont regroupés, voire souhaitent « faire une pause ». En tout état de cause, malgré ses « murs repoussés », le Palais des Congrès apparaît toujours « un peu juste ». On étudie des solutions pour contourner le manque de place... Cette année, les exposants ayant obtenu un stand ont aussi la possibilité d'occuper une annexe sur le site de la Porte de Champerret, ouvert au monde dentaire depuis 4 ans. Pour la première fois, ce nouvel espace accueillera tous les ateliers de TP et de démonstration. Mais « quoi qu'on fasse, la demande est supérieure à l'offre », regrette Christian Lemaur, par ailleurs très soucieux de transparence dans ses décisions : « Nous avons fixé une règle, celle d'accorder un stand à toute demande adressée avant la première réunion d'attribution qui se tient en début d'année. Mais l'emplacement et la taille du stand proposé ne plaisent pas toujours ! »
Au vu de l'investissement nécessaire (prix du mètre carré, installation, décoration, animation...), les exposants jouent gros pendant cette semaine, mais peuvent en contrepartie réaliser de 20 à 40 % de leur chiffre d'affaires annuel, car la profession a pris l'habitude d'y concentrer une part importante de ses achats (d'autant plus qu'on se trouve alors à quelques semaines de la fin de l'année fiscale !). À la différence de l'IDS de Cologne, la plus grande foire-exposition européenne de matériel, le congrès de l'ADF est un grand marché dans lequel les affaires se traitent « en direct » avec des congressistes d'autant plus intéressés qu'ils peuvent en même temps se former.
Les efforts entrepris pour intégrer les prothésistes dentaires n'ont pas connu le même succès. Dès 2000, un espace leur est destiné au sein de l'exposition. Ainsi que la possibilité d'organiser des formations. « Nous étions d'ailleurs assez libres », reconnaît Maurice Dauvois, président de l'UNPPD*. Et pourtant, chaque année, l'implication des prothésistes diminue. En 2006, ils créent leur propre manifestation biennale, Dental Forum, dont la troisième édition se tiendra en 2010. La loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST), qui impose aux chirurgiens-dentistes de préciser sur le devis le prix d'achat de la prothèse, a achevé de refroidir les relations avec l'ADF . « On ne souhaite pas trop nous voir dans les couloirs cette année », pense Maurice Dauvois...
Au fil des années, le congrès s'est doté d'une organisation très professionnelle. La préparation s'étale sur plus de 18 mois à partir de la nomination par l'ADF du président, généralement un ancien président scientifique, voire un responsable professionnel ou syndical, qui choisit ensuite ses deux vice-présidents et un président scientifique. Lequel - l'an dernier un praticien libéral, Michel Pompignoli, cette année, un universitaire, François Unger - s'entoure d'une douzaine de membres ayant chacun la responsabilité d'une discipline.
Après une première réunion au mois d'avril de l'année n-1, chaque responsable scientifique propose ses thèmes, lesquels sont discutés, puis acceptés ou refusés. Intervient alors le choix des types de séances - conférence, TP, TD, démonstration sur patients, séance interactive, cours... - et des responsables de séance. Les noms sont soumis au Comité scientifique qui veille à éviter les « doublons » : depuis 4 ans, pour éviter les « turbo-conférenciers », une même personne ne peut intervenir plus de 2 fois lors d'un congrès (l'édition 2009 en comptera... 633).
Toutes les décisions du Comité scientifique sont prises avec l'aval du Comité d'organisation au sein duquel siègent les responsables de l'ADF. Les premiers résultats de l'évaluation du congrès précédent, connus en janvier, permettent au Comité scientifique du congrès suivant de faire certains ajustements pour coller au plus près aux demandes des congressistes. Le programme scientifique doit être « bouclé » en avril, avant d'être testé, en juin, auprès d'un panel de 300 chirurgiens-dentistes pour une première appréciation du nombre des congressistes et, éventuellement, quelques « retouches »...
Mais derrière ce qui peut apparaître comme une « machine bien huilée », il faut cependant parler « d'histoires humaines ». Véritable raison de sa réussite. « Le congrès c'est beau, c'est brillant, c'est une vitrine. Mais elle n'existerait pas sans une ADF forte derrière », confirme d'ailleurs Viviane Aumont, actrice omniprésente, pratiquement depuis « les débuts ». On pense bien évidemment à Léo Hanachowicz et à Robert Derouineau, les secrétaires instigateurs, qui ont tracé le chemin pour Patrick Hescot, Meyer Fitoussi et Christian Lemaur, actuels édificateurs de ce « monument » unique parmi toutes les professions de santé. Mais ils ne sont pas seuls. « Le congrès se nourrit du travail de fourmi de près de 150 personnes qui agissent au sein de commissions statutaires ou consultatives », tiennent à préciser les 2 secrétaires généraux, Patrick Hescot et Nicolas Mailhac.
Un « travail de l'ombre » qui ne s'est jamais démenti. « Tout est préparé avec une minutie qui laisse très peu de place à l'incertitude », insiste Paul Cattanéo, incontournable artisan des Forums, ces séances libres du congrès créées voilà 15 ans (voir page 11). « Participer à l'organisation est une expérience très enrichissante qui permet de découvrir le fonctionnement de l'ADF, une structure qui ne laisse rien au hasard », renchérit Nicolas Lehmann, désormais responsable des séances d'odontologie restauratrice, et cela à 33 ans, après 8 ans passés comme conférencier.
Une expérience néanmoins exigeante, car la « charge » est lourde - Michel Pompignoli n'est pas le seul à se souvenir « de nombreuses nuits blanches » -, mais également un honneur autant qu'une mission passionnante au service de ce que certains appellent « le congrès de tous les excès » : quand un projet plaît, l'ADF trouve toujours les moyens nécessaires pour le mettre en oeuvre !
Et l'on n'hésite pas à inventer. Ce qui fut le cas l'an dernier lorsqu'il fallut organiser un multiplex, en direct de 3 sites hexagonaux, pour permettre aux congressistes d'assister à 3 interventions de chirurgie buccale, qui plus est diffusées sur Internet pour les non inscrits ! « Une première », se souvient Didier Pichelin, président du Comité technique, chargé de la faisabilité des séances programmées par le Comité scientifique et de la qualité de leur montage.
Par ailleurs, l'ADF sait profiter de sa manifestation pour faire passer des messages forts, auprès de la profession comme du grand public. Rappelons-nous 1996 qui avait vu le lancement de la « démarche qualité » et la distribution d'un « coffret hygiène et asepsie » à tous les congressistes, ou encore 2005 marqué par l'intervention du ministre de la Santé, sans oublier l'édition 2009 qui vivra le « pic » de la « campagne d'image de la profession » et l'invitation adressée aux parlementaires de venir se convaincre du haut degré de technicité des pratiques dentaires.
Un tel « inventaire », il faut en convenir, laisse bien peu de place à la concurrence ! Certains s'y sont risqués. Sans succès. La dernière expérience en date, l'Euro Expo Dental, en 2004, n'aura vécu qu'un seul printemps. « Dans mon esprit, nous n'étions pas concurrents. J'étais peut-être inconscient... », reconnaît aujourd'hui Paul Azoulay, vice-président de ce rendez-vous manqué.
Et les projets ne manquent pas. Si les congressistes repartent depuis toujours avec la quintessence du congrès, il est prévu qu'ils bénéficient à l'avenir d'une revue scientifique trimestrielle - en versions anglaise et française - qui prolonge les acquis de la formation dispensée Porte Maillot. Il est aussi question d'une émission télévisée bimensuelle, accessible par Internet... Le leader n'entend pas laisser fondre son avance sur le peloton. n Anne-Chantal de Divonne
*Union nationale patronale des prothésistes dentaires