Clinic n° 05 du 01/05/2012

 

Passions

CATHERINE FAYE  

Diplômé d’un doctorat de recherche en préhistoire de l’université de Perpignan et d’un mastère spécialisé en biologie de l’université Paul-Sabatier de Toulouse, Florent Rivals est passionné d’archéologie et de préhistoire. Riche d’un parcours fait de lectures, de recherches et de voyages, ce paléontologue de 36 ans est chercheur à l’IPHES (1) et professeur associé à l’université Rovira i Virgili, à Tarragone, en Espagne. Il a fait de l’analyse de l’usure dentaire des animaux fossiles un de ses chevaux de bataille.

Comment cela a-t-il commencé ?

Enfant, j’aimais les sciences, la chimie, la préhistoire… Plus tard, j’ai découvert les fouilles sur le terrain pour essayer de reconstituer l’histoire et j’ai développé un intérêt particulier à travailler sur les fossiles.

Un ouvrage, une personnalité vous ont-ils marqué ?

Les travaux d’Yves Coppens m’ont beaucoup apporté, notamment tout ce qui concerne la découverte du fossile Lucy. Le parcours de ce passionné de préhistoire et d’archéologie fait écho au mien. De plus, il a travaillé sur la détermination des dents de proboscidiens du pliocène issus de fossiles de vertébrés trouvés par des géologues en Afrique.

Vous êtes chercheur à l’IPHES. Qu’est-ce que la paléoécologie ?

Il s’agit d’une science issue de la paléontologie qui étudie les relations entre les êtres vivants fossiles et leur milieu de vie, sous les aspects physico-chimiques aussi bien que biologiques. L’objectif est de voir comment les espèces ont réagi face aux changements climatiques et environnementaux. Cet aspect m’a particulièrement intéressé, surtout à travers l’étude de l’alimentation des animaux fossiles.

Qu’est-ce que cette étude spécifique nous dit ?

Reconstituer la paléo-alimentation d’animaux fossiles permet d’indiquer comment était leur environnement. D’après les analyses de l’usure dentaire, on constate que le régime alimentaire des animaux varie en fonction de la végétation et donc des changements climatiques. Dans le cas d’herbivores, par exemple, ce sont les premiers à subir les effets des changements climatiques. Lorsqu’ils vivent dans des régions humides, ils vont exploiter préférentiellement la forêt. Mais si le climat devient plus froid et sec et que la steppe et la toundra s’installent, ils sont alors obligés de consommer une végétation de type « graminées » et leurs dents en sont les témoins.

L’étude des dents nous raconte donc une histoire ?

En effet, les traces d’usure dentaire formées pendant les derniers jours de la vie d’un animal sont très intéressantes. Elles indiquent quel a été son dernier repas et, de fait, quel était l’environnement dans lequel il se trouvait. Par ce biais, nous nous intéressons également au comportement social humain : que s’est-il passé au moment où l’homme l’a chassé ?

Vous avez étudié les dents fossiles de chevaux. Qu’avez-vous constaté ?

La morphologie des dents des premiers chevaux (il y a 60 millions d’années) a changé. Ceux-ci mesuraient 40 cm de hauteur, comme un chien, avaient des dents plus courtes, mangeaient des fruits, des feuilles. De tropical, humide et chaud, le climat est devenu, par la suite, plus froid : leur alimentation a changé. Mais on s’est aperçu que l’adaptation et donc la modification des dents ne sont pas immédiates : il faut grosso modo 1 million d’années.

Les animaux s’adaptent-ils toujours ?

Certains oui, comme la girafe dont le cou, à l’origine, était plus court. Avec le temps, elle est entrée en compétition avec d’autres herbivores, tel que le rhinocéros, et son cou s’est allongé pour atteindre les feuillages les plus élevés. Mais il y a aussi la sélection naturelle, et d’autres animaux ne résis­tent pas aux changements climatiques : cela implique l’extinction de leur espèce.

Avez-vous une technique spécifique ?

Pour étudier les microtraces sur les dents provoquées par les aliments ingérés, je fais des moulages et j’utilise du matériel dentaire, comme du silicone que j’applique avec un pistolet pour faire des impressions. Cela me permet de faire un moulage, un « négatif » de la surface de la dent, car, souvent, la dent est trop grosse pour les microscopes dont je me sers. Par ailleurs, le silicone me permet de faire des moulages de dents de collections d’autres universités ou centres de recherche à l’étranger et de les rapporter pour les étudier à Tarragone. Ces dents « portables » évitent également d’avoir à demander des permis aux douanes. En revanche, je n’étudie pas la dentine, trop fragile, moins résistante.

Une découverte récente ?

On essaie d’utiliser les micro-usures pour estimer la durée d’occupation d’un site archéologique. Un animal peut rester dans un endroit une journée comme une année, en fonction de la disponibilité des ressources alimentaires et du climat : si les contrastes saisonniers sont marqués, comme en Europe, il se déplace. Je travaille sur les hypothèses que me révèlent les dents, pour indiquer la durée d’occupation. Si elle a été courte, l’alimentation a été homogène et donc la micro-usure peu diversifiée. Si elle a été plus longue, les animaux sont morts à différents moments de l’année. En combinant toutes les dents d’un site archéologique, on trouve des explications à ce qui s’est passé.

Votre implication dans la recherche est-elle un sacerdoce ?

Mes travaux sont toujours présents dans mon esprit. Il m’est difficile de m’arrêter et il m’arrive d’avoir envie de travailler le week-end. La recherche est une passion, au même titre que mon intérêt pour la nature et les randonnées : une façon de prendre l’air…

(1) Institut Català de Paleœcologia Humana i Evolucio Social

Quatre références sur la préhistoire (sérieuses et moins sérieuses…)

• Un livre de vulgarisation sur Néandertal : Néandertal. Une autre humanité, de Marylène Patou-Mathis, éd. Perrin.

• Un roman bien écrit et amusant sur la préhistoire : Pourquoi j’ai mangé mon père, de Roy Lewis, éd. Pocket.

• Pour les amateurs de BD, 2 tomes sur la préhistoire : Silex and the city, de Jul, éd. Dargaud.

• Un livre sur l’alimentation : Evolution of the human diet : the known, the unknown, and the unknowable, de Peter S. Ungar, Oxford University Press (Human evolution series).