ODONTOLOGIE RESTAURATRICE
Geneviève GRÉGOIRE* Mathieu DELANNÉE** Anthony COLNARD*** Marie-Paule LACOMBLET****
*Professeur des Universités, praticien hospitalier
**Assistant hospitalo-universitaire
Faculté de chirurgie dentaire
3, chemin des Maraîchers
31062 Toulouse cedex 4
***Docteur en chirurgie dentaire
Faculté de chirurgie dentaire
3, chemin des Maraîchers
31062 Toulouse cedex 4
****Technicienne
Faculté de chirurgie dentaire
3, chemin des Maraîchers
31062 Toulouse cedex 4
Les ciments verre ionomère ont de multiples indications ; cependant ils ont une limite quand ils sont placés en tant que restauration soumise à des contraintes : leurs propriétés mécaniques.
Ayant une adhésion aux tissus durs de la dent inégalée, ces matériaux présentent des qualités biologiques qui leur confèrent une place toute particulière dans la gamme des restaurations à notre disposition.
Cet article présente un ciment verre ionomère de haute viscosité indiqué pour les restaurations coronaires semi-permanentes.
Depuis la mise au point des ciments au verre ionomère, on a pu apprécier leurs principaux avantages :
• capacité d’adhérer chimiquement à l’émail, la dentine ou le cément [1, 2] et de générer une interface propre, d’où une étanchéité immédiate ;
• relargage d’ions fluor [3] ;
• coefficient de dilatation thermique identique à celui de la dent, ce qui leur permet de conserver dans le temps une étanchéité idéale [4].
Mais l’utilisation de ces ciments dans leur formule originale a des limites liées en particulier à leurs propriétés mécaniques insuffisantes pour supporter des contraintes occlusales. Aussi des modifications dans leur structure ont été apportées pour améliorer leur performance dans le domaine :
• renfort de fibres ;
• incorporation d’éléments métalliques (cermets)…
D’autres améliorations ont permis d’obtenir des ciments verre ionomère de haute viscosité destinés aux restaurations (appelés aussi condensables).
Le ChemFil™ Rock (Dentsply) découle de cette approche : élaborer un ciment de haute viscosité ayant des propriétés mécaniques améliorées.
Un grand nombre de produits sont disponibles, chacun avec des compositions et des structures différentes de façon à être plus adapté à des champs spécifiques d’application [5].
Ici, nous n’évoquerons que les ciments verre ionomère destinés à l’obturation partielle ou totale de cavités coronaires ou corono-radiculaires :
• les ciments verre ionomère répondant d’une réaction acide-base dits traditionnels, dans lesquels les polyacides sont en solution aqueuse ;
• les ciments verre ionomère modifiés par adjonction de résine (CVIMAR), mis au point pour répondre de propriétés physiques améliorées. Cela leur confère des indications multiples. De plus, ils ont des propriétés biologiques équivalentes aux ciments verre ionomère précédents ;
• ciments verre ionomère renforcés en particules métalliques (cermets : céramique ou verre et métal). Ces biomatériaux ont une résistance augmentée, une adhésion aux tissus dentaires performante, comme tout verre ionomère ,et sont de manipulation aisée.
Ces ciments sont préconisés en restaurations coronaires au niveau des collets, en restaurations radiculaires [6], en restaurations de temporisation, en odontologie pédiatrique, gériatrique, comme bases de cavité, en traitements restaurateurs atraumatiques (médecine d’urgence)… Quelle que soit leur composition, ils ne doivent pas être considérés comme permettant une restauration pérenne sur des zones subissant des charges occlusales [7].
Ils peuvent être de basse viscosité ou, au contraire, de viscosité élevée, cela permettant de mieux les adapter à des situations cliniques diverses.
L’autoadhésion des verres ionomères aux tissus de la dent a récemment été déterminée comme résultant de deux facteurs :
• l’intrication micromécanique complétée par l’hybridation superficielle du réseau microporeux hydroxyapatite/fibrilles de collagène. Dans cette optique, les verres ionomères peuvent être considérés comme adhérant aux tissus dentaires au travers d’un processus intermédiaire d’automordançage ;
• une réelle adhésion chimique qui a lieu au travers de la formation de liaisons ioniques entre les groupes carboxyles de l’acide polyalkénoïque et le calcium de l’hydroxyapatite présent autour de la trame collagénique exposée.
Ce processus est fonction de la solubilité des sels de calcium formés à la surface de l’hydroxyapatite dans sa propre solution acide.
Plus les sels de calcium des acides sont solubles, moins il y aura d’adhésion au substrat minéral.
Comme les sels de calcium des acides polyalkénoïques peuvent être fortement dissous, ils ont un potentiel d’adhésion chimique adéquat sur les tissus à base d’hydroxyapatite.
La caractéristique des verres ionomères est de présenter à l’interface une phase gel qui correspond à la formation d’un sel de polycarboxylate de calcium. Il a été prouvé que cette phase est stable et forte, intermédiaire entre la couche hybride de 0,5 à 1 µm et la matrice du verre ionomère. Dans les tests de résistance à la rupture, l’interface se fracture typiquement davantage au-dessus de la phase gel, à l’intérieur de la matrice du verre ionomère. Les analyses de surface AFM (microscopie à force atomique) ont confirmé que la phase gel est plus « forte » que la matrice des verres ionomères.
Les ciments au verre ionomère sont cariostatiques car ils assurent une bonne étanchéité (immédiate et retardée) et libèrent des fluorures secondairement captés par la dentine adjacente.
La libération continue de fluorures par le verre ionomère est un processus actuellement bien connu. L’ion fluorure F- et l’ion hydroxyle OH-, tous deux de petite taille, peuvent migrer au travers d’un matériau modérément poreux. Comme l’ion fluorure n’est pas un constituant du complexe matriciel, il peut se déplacer soit vers l’intérieur, soit vers l’extérieur sans provoquer d’effet indésirable. Il est incorporé dans le verre lors de la fabrication, si bien qu’immédiatement avant sa mise en place, une grande quantité de fluorures se trouve à la surface. Un flux important peut ainsi être mesuré. Après le premier mois, le flux décroît considérablement avant de se stabiliser à un niveau faible.
Cependant, l’équilibre ionique avec le ciment doit être maintenu. Ainsi, lorsque la concentration en fluorures dans le milieu environnant est élevée, notamment au cours de l’application de fluorures, un flux ionique inverse s’observe vers la restauration.
Un verre ionomère peut donc se comporter comme un réservoir de fluorures, et ce probablement pendant toute la durée de vie de la restauration.
Il y a échange d’ions aussi bien entre le verre ionomère et la salive qu’entre le verre ionomère modifié et les tissus minéralisés de la dent. La liaison ionique se fait entre les fonctions carboxyliques et le calcium de l’hydroxyapatite [8]. L’échange d’ions commence dès les premiers temps de la réaction de prise et baisse progressivement dans le temps.
Le relargage de fluor, d’aluminium, de baryum, de strontium [9 -11] ou de zinc est contrôlé par un mécanisme de diffusion des ions à travers la matrice [12] et dépend du temps, de la surface, du pH et du stress occlusal [10, 13, 14]. Ce phénomène est significatif et, ainsi, les surfaces dentaires bénéficient de cette diffusion [15].
Alors que le rôle du fluor dans la formation d’une fluoroapatite résistant mieux à une attaque acide est bien connu, l’influence du relargage d’autres ions dans l’écosystème buccal n’est pas bien définie.
L’adhésion par échange ionique combiné au transport d’ions vers et hors du matériau fait du verre ionomère un matériau bioactif unique.
Les ciments verre ionomère ont principalement une faible résistance à toutes les forces de cisaillement et à la flexion. Ces points négatifs, face à leurs propriétés biologiques et adhésives très positives dans le domaine de la dentisterie restauratrice, ont conduit à une recherche constante de l’amélioration de leur comportement en tant qu’obturations de dents permanentes soumises à des contraintes occlusales :
• incorporation de polymères [16], de particules métalliques, nous l’avons vu, mais aussi de préparation tannin-fluorure [17], borax [18], fibres de verre [19], hydroxyapatite/zircone [20, 21], particules sphériques [22] ;
• une autre approche consiste à mettre au point des ciments verre ionomère de haute viscosité [23]. Ils ont une meilleure résistance mécanique (en particulier résistance à l’usure) que les ciments traditionnels et même que les cermets.
Le ChemFil™ Rock est à haute viscosité et sa composition est renforcée en zinc. Il comprend donc :
• de la poudre de verre de calcium fluoro-alumino-silicaté renforcée en zinc et en phosphore ;
• de l’acide polycarboxylique ;
• des pigments d’oxyde ferrique et de dioxyde de titane ;
• de l’acide tartrique ;
• de l’eau.
Une capsule de ce produit contient 24 mg de zinc. Cela correspond à une concentration de 8,5 %, beaucoup plus que dans aucun autre ciment verre ionomère.
Quelles sont les conséquences de ce renforcement en zinc ?
Le zinc comme le fluor sont relargués par les ciments verre ionomère [24]. Le zinc semble être davantage absorbé par la composante inorganique de la dentine, et le fluor par la composante organique [25].
Le zinc seul est peu efficace sur l’inhibition de la croissance de Streptococcus mutans [26]. En revanche, l’ajout de zinc au ciment verre ionomère entraîne une diminution de la croissance de S. mutans, surtout au premier jour de relargage [27, 28].
Par ailleurs, le relargage de zinc entraîne une augmentation de la libération de fluor [27].
Des échantillons du ciment sont placés dans l’eau déionisée. Le relargage de fluor est mesuré pendant une période de 22 jours. Les concentrations en fluor des solutions d’immersion sont mesurées par chromatographie ionique directe (Compact IC 761 de Metrohm, Herisau, Suisse).
Si on exprime le relargage en microgrammes de fluor par centimètre carré d’échantillon, on remarque des valeurs élevées au début de la réaction de prise : 1,06 µg/cm2 (1er jour). Ensuite, ce relargage diminue progressivement pour atteindre un palier après 14 jours d’immersion : 0,34 µg/cm2 jusqu’au 22e jour (fig. 1).
Des échantillons de ChemFil™ Rock sont également placés dans l’eau déionisée. Le relargage de zinc est également mesuré jusqu’au 22e jour d’immersion.
Ici, les concentrations en zinc des solutions d’immersion sont mesurées par spectrométrie d’absorption atomique de flamme (Solar System 929 AA, Unicam, Cambridge, Royaume-Uni).
On remarque un relargage (exprimé en microgrammes de zinc par centimètre carré d’échantillon) qui, également, diminue progressivement pour atteindre un palier au 7e jour de 1,9 µg/cm2 puis remonte progressivement (fig. 2).
Nous pouvons donc attendre des propriétés antibactériennes certaines.
Nous avons testé cette particularité et placé des échantillons de ChemFil™ Rock dans l’eau déionisée et d’autres échantillons dans la salive artificielle. Ces échantillons sont soumis à un test de microdureté Vickers (ZHV10 type 3212001 Zwick/Roell, Ulm, Allemagne) à différents temps d’immersion.
Le poids appliqué pour la contrainte est de 2 kg.
La mesure des diagonales des indentations est réalisée à l’aide d’un microscope stéréoscopique (MZ7.5, Leica, Herbrugg, Suisse) avec un grandissement de 10 à 50.
La dureté Vickers est déterminée par la formule suivante :
VHN = 1,8544 F/d2
avec F : masse appliquée en kilos et d : moyenne des diagonales de l’indentation en millimètres.
Une représentation de l’évolution de la dureté de surface en fonction du temps est donnée à la figure 3 . Entre le 1er et le 30e jour, on note une augmentation constante de la microdureté qui atteint, en salive artificielle, 55,84 HV, valeur supérieure à celles obtenues avec les ciments verre ionomère classiques. Cette valeur est intéressante : en comparaison, la microdureté Vickers de la dentine est de 60.
Le ChemFil™ Rock se présente sous forme de capsules à mélanger prédosées pour une application orale. Cinq teintes sont disponibles : A1, A2, A3, A4 opaque et blanc de contraste.
Ce ciment verre ionomère de restauration se conserve, dans son emballage hermétique, à des températures comprises entre 4 et 28 °C. Sa mise en œuvre nécessite l’utilisation d’un applicateur.
Il est spécifiquement conçu pour des restaurations semi-permanentes occlusales ou occluso-proximales de secteur postérieur. Mais il peut être, bien sûr, utilisé pour la restauration de dents temporaires et pour celle des cavités de collet, pour les reconstitutions corono-radiculaires et en base de cavité dans la technique dite « sandwich ». En cavité très profonde, il est préférable de prévoir un matériau de fond de cavité thérapeutique.
Son utilisation est classique, aussi présentons-nous les différents temps d’application (fig. 4 à 16). Lors de son emploi, nous avons noté un durcissement rapide qui donne un temps de manipulation maximal de 1 minute à 1 minute 15 secondes. Par ailleurs, les teintes sont assez opaques et claires, mais ce manque d’intégration esthétique n’est pas un véritable obstacle dans le contexte de reconstitutions semi-permanentes postérieures.
Nous avons utilisé ce matériau fréquemment en technique « sandwich ouvert ou fermé » (fig. 17 à 23). La technique « sandwich ouvert » a pour but, en présence d’une cavité proximale, de placer un ciment verre ionomère en cervical et de le recouvrir d’une obturation composite, quand le bandeau amélaire n’existe plus. Ainsi, on bénéficie de l’excellente adhésion de ces ciments sur le cément et aussi, bien sûr, de leurs qualités biologiques cariostatiques très attendues en zone proximale. Un ciment verre ionomère modifié par adjonction de résine est habituellement préférable car il contient de la résine et il y a donc copolymérisation.
Les caractéristiques mécaniques du ChemFilTM Rock ainsi que sa prise très rapide permettent cette indication, bien entendu après avoir retraité la surface avant la mise en place du composite.
Au terme de la présentation de ce nouveau ciment verre ionomère, les données permettent :
• d’avancer les capacités prophylactiques du matériau dans la récidive de la carie, grâce à la diffusion couplée du fluor et du zinc (inhibition de la croissance de S. mutans) ;
• de constater que sa microdureté, pratiquement équivalente à celle de la dentine, permet de l’indiquer en restauration postérieure semi-permanente ou en matériau de base dans la technique « sandwich ».
Testez vos connaissances suite à la lecture de cet article en répondant aux questions suivantes :
1. Un ciment verre ionomère peut être indiqué en restauration coronaire postérieure définitive.
• a. Vrai.
• b. Faux.
1. Le relargage du zinc à partir de certains ciments verre ionomère amplifie l’action du fluor sur l’inhibition de la croissance de certaines bactéries.
• a. Vrai.
• b. Faux.
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