ODONTOLOGIE RESTAURATRICE
Nicolas CHELEUX* Claire CAZALAS** Patrick SHARROCK***
*Ancien assistant hospitalo-universitaire,
Département d'odontologie conservatrice et endodontie,
UFR d'odontologie,
3 chemin des Maraîchers,
31062 Toulouse Cedex 4.
**Praticien libéral.
***Professeur des Universités,
Université Paul Sabatier, Toulouse.
Les tenons fibrés fêtent leur 20e anniversaire en cette année 2009. Ce moyen d'ancrage est de plus en plus utilisé par les praticiens pour reconstituer une dent dépulpée. Afin d'améliorer l'interface entre le tenon fibré et le système de collage, un traitement expérimental de surface du tenon le rendant immédiatement « prêt à l'emploi » a été testé. Est-ce que la simplification proposée rime avec efficacité ?
Apparus à la fin des années 1980, les tenons fibrés s'imposent petit à petit comme un réel moyen d'ancrage alternatif aux tenons métalliques et aux traditionnels inlay-cores. Les fibres équitendues, noyées dans une matrice résineuse, confèrent au tenon un caractère anisotropique. En effet, selon l'axe d'orientation des contraintes, le module d'élasticité de ces tenons varie pour se rapprocher de celui de la dentine lors de contraintes appliquées à 30° [1]. Ce comportement diffère de celui des tenons métalliques isotropiques. Des essais mécaniques in vitro ont démontré que l'utilisation des tenons fibrés diminue le risque de fracture radiculaire par rapport aux tenons métalliques et aux inlay-cores [2, 3, 4, 5et 6]. Néanmoins, lors de contraintes trop élevées, un risque de fracture radiculaire existe. Cependant, le pronostic est généralement plus favorable : la fracture se situe la plupart du temps au niveau cervical avec des tenons fibrés alors qu'elle se rapproche de l'extrémité apicale des ancrages métalliques. Ces résultats ont été confirmés par des analyses par éléments finis [7,8].
Un tenon fibré est constitué de fibres de carbone, de verre ou de quartz. Les fibres de carbone ont été plus ou moins abandonnées pour des raisons esthétiques notamment au profit des fibres de verre ou de quartz qui confèrent au tenon des propriétés optiques esthétiques ainsi que la capacité de faire transiter la lumière [9] et, donc, de déclencher la polymérisation des systèmes adhésifs et des composites de collage. La matrice organique des tenons fibrés est constituée d'une résine thermodurcissable polymérisée durant la fabrication du tenon. Le taux de conversion des monomères avoisine les 99 %. Dès lors, peu de radicaux libres sont susceptibles d'interagir avec les systèmes adhésifs. Il s'agit là d'un point faible de ce mode de reconstitution. Différents auteurs ont donc préconisé des traitements physico-chimiques de surface des tenons afin d'améliorer leur liaison avec les colles [10, 11, 12et 13].
De plus, la différence de rigidité relative entre le tenon fibré et le système de collage est plus élevée que celle entre le système de collage et la dentine. Cela pourrait conduire à une rupture préférentielle au niveau de l'interface colle/tenon [14].
Les faibles taux d'échecs des reconstitutions par tenons fibrés décrits dans la littérature scientifique sont plus liés à des décollements qu'à des fractures radiculaires [15, 16et 17].
Afin d'améliorer la qualité de l'adhésion entre les systèmes de collage et les tenons fibrés, des tenons silanés industriellement ont été testés. Le but de cet article est de présenter, d'une part, une étude expérimentale ayant pour objectif d'évaluer en termes d'adhésion l'efficacité de ce traitement préalable de surface et, d'autre part, de présenter au travers d'un cas clinique les différentes étapes conduisant à la reconstitution de la dent dépulpée avec ces tenons.
Le test de push-out est une adaptation du punch-shear, test décrit par Roydhouse [18] en 1970. En effet, l'objectif est d'expulser un objet collé. Un poinçon métallique de diamètre défini exerce une force parallèle à cet objet. L'orientation des forces exercées par le poinçon métallique, parallèle aux interfaces, induit principalement des contraintes de cisaillement sur le joint.
Nous avons conçu un modèle expérimental original d'essai pour tester exclusivement l'interface entre le tenon et le système de collage à partir d'un moule en teflon comprenant deux parties (mâle et femelle) qui s'emboîtent. Au sein de la partie mâle, le tenon est positionné dans un réceptacle. La partie femelle s'emboîte sur la partie mâle, délimitant un logement autour du tenon (fig. 1). Au sein de ce logement, nous avons injecté le composite Core.XTM Flow (Dentsply). Une photopolymérisation à une puissance de 800 mW/cm2 durant 40 secondes a été effectuée avec la lampe Spectrum® 800 (Dentsply). Les échantillons obtenus ont été conservés au sec et à l'abri de la lumière à température ambiante. Les essais mécaniques ont eu lieu 7 jours après la réalisation des échantillons. Le jour des essais, l'extrémité coronaire du tenon a été polie afin d'obtenir une surface plane.
L'échantillon est positionné et calé de sorte qu'il ne puisse plus bouger lors de la contrainte (fig. 2). Le poinçon a un diamètre légèrement inférieur au diamètre du tenon. Ce dispositif d'essai permet d'aligner et de centrer le poinçon sur le tenon. Ainsi, la force s'applique directement et parallèlement au grand axe du tenon.
Les tenons DT Light Post® (fabriqués par RTD et distribués par Dentsply) sont constitués de 60 % de fibres de quartz enrobées dans une matrice résineuse de type époxy. Un traitement chimique de surface, expérimental, est testé afin d'améliorer l'adhésion. Il s'agit d'une application industrielle d'une couche de silicate suivie de l'application d'un silane. Le procédé repose sur la technique de dépôt physique en phase vapeur.
Dix tenons DT Light Post® ont constitué le groupe témoin, 10 autres ont reçu une application d'adhésif XP BondTM + activateur et les 10 derniers ont été conditionnés par le traitement chimique de surface décrit plus haut.
L'apport de silane confère aux tenons des valeurs d'adhésion statistiquement supérieures à celles du groupe témoin. Il n'y a pas de différence statistiquement significative entre le traitement industriel préalable par le silane et le traitement extemporané des tenons par de l'adhésif (fig. 3).
Le silane est le plus connu des agents de couplage. C'est un des composés les plus susceptibles de permettre des collages aux surfaces de verre [19]. Le mécanisme du collage est plutôt bien connu : il consiste en la formation de liaisons covalentes et hydrogène. Au cours du processus de collage, les molécules de silane s'orientent parallèlement à la surface de verre et, de ce fait, la rendent hydrophobe et organophile. L'hydrophobie protège les surfaces de verre de la dégradation hydrique, alors que l'organophilie facilite le mouillage par la résine [20]. Goracci et al . [21] ont démontré l'efficacité sur le collage de l'application de silane sur tous les tenons fibres testés dans leur étude, et ce quel que soit le composite de reconstitution. Aksornmuang et al . [22] ont confirmé ces résultats. Monticelli et al . [23] ont évalué différentes solutions de silane. Ces auteurs ont démontré qu'une augmentation de la température à 38 °C à la surface du tenon permettait la condensation du silane et favorisait la liaison entre le tenon fibré et le composite de reconstitution.
Une patiente de 37 ans présente des douleurs aiguës, spontanées. Une pulpite irréversible sur la 46 liée à une lésion carieuse formée sous une restauration non étanche est diagnostiquée (fig. 4). Le traitement consiste à réaliser une biopulpectomie et une obturation canalaire. Après dépose des précédentes obturations et éviction de la lésion carieuse, la cavité d'accès est réalisée (fig. 5).
Le cathétérisme est réalisé à l'aide d'une lime manuelle 15 et la longueur de travail pour les trois canaux est déterminée (fig. 6). On s'aide d'un localisateur d'apex électronique. Une radiographie peropératoire avec les limes en place est effectuée (fig. 7). Ce cliché permet de confirmer les longueurs de travail obtenues. Pour distinguer plus facilement les longueurs de travail des deux canaux mésio-vestibulaire et mésio-lingual, deux profils de limes différents sont utilisés (une lime de type K n° 15 et une lime de type H n° 15). La mise en forme canalaire est accomplie par les instruments MTwo® (fabriqués par VDW et distribués par Dentsply), dont la séquence opératoire a été parfaitement décrite par Claisse-Crinquette [24]. Cette mise en forme repose sur les quatre principes édités par Schilder [25] : une préparation conique du canal, le respect de son anatomie, c'est-à-dire que le canal préparé doit se superposer parfaitement au canal initial. Cela contribue à ne pas affaiblir les parois résiduelles. Effectivement lors de la désobturation et de la réalisation du logement canalaire pour le tenon, un déplacement préalable du canal pourrait aggraver la situation [26]. Le diamètre du foramen doit être le plus étroit possible et le foramen doit être maintenu dans sa position originelle sur la surface de la racine. Les instruments MTwo® (fig. 8) sont passés successivement jusqu'à la longueur de travail à une vitesse proche des 300 tr/min selon la séquence suivante :
• instrument de diamètre apical 10, de conicité .04 ;
• instrument de diamètre apical 15, de conicité .05 ;
• instrument de diamètre apical 20, de conicité .06 ;
• instrument de diamètre apical 25, de conicité .06.
Il s'agit d'une séquence « classique » ; cependant, d'autres instruments pourront compléter cette séquence en fonction notamment du diamètre du canal et ou du diamètre foraminal.
Entre chaque passage d'instrument, de l'hypochlorite de sodium à 2,5 % est utilisé comme solution d'irrigation. Comme le préconisent Zaccaro Scelza et al . [27], un rinçage du canal et de la chambre pulpaire est réalisé avant l'obturation avec 8 à 10 cl d'acide éthylène-diamine-tétra-acétique (EDTA) liquide à 15 % (EdetatTM, Pierre Rolland) activé avec des limes ultrasonores, suivi d'un rinçage avec 10 cl d'hypochlorite de sodium puis d'un rinçage à l'eau distillée. Des pointes de papier absorbant permettent d'assécher le canal. Le ciment résineux sans eugénol TopSeal® (Maillefer) est utilisé pour ne pas risquer d'interférer avec le système de collage, bien que sur ce point aucun consensus ne soit véritablement établi à ce jour.
Pour l'obturation canalaire, une technique combinant un compactage latéral à froid suivi d'un thermocompactage mécanique est choisie. Un maître-cône de gutta-percha de conicité .06 et de diamètre apical 25 est foulé latéralement et est associé à un cône accessoire (conicité 2 %, diamètre 25) correspondant au fouloir. Cette opération est suivie d'un compactage thermomécanique. Une radiographie postopératoire est réalisée (fig. 9).
La préparation corono-périphérique est alors effectuée (fig. 10) : elle permet d'évaluer le nombre de parois résiduelles. Selon l'ANAES [28], une paroi résiduelle doit au minimum présenter 1 mm d'épaisseur et 3 mm de hauteur ou être égale à la moitié de la hauteur coronaire. Dès lors qu'au moins deux parois persistent, les reconstitutions corono-radiculaires par tenons fibrés sont indiquées. Les limites cervicales doivent être maintenues en position supragingivale.
La reconstitution corono-radiculaire est réalisée dans la même séance clinique que l'obturation canalaire. C'est un des points forts des reconstitutions corono-radiculaires par tenons fibrés collés car, comme l'ont démontré Fan et al . [29] et Karapanou et al . [30], cela permet de constituer immédiatement une réelle barrière antibactérienne. Inversement, lors de la réalisation d'un inlay-core, le logement canalaire est souvent laissé « vide » ou un tenon métallique et une couronne provisoire sont scellés avec un ciment de scellement temporaire dont la dégradation rapide dans le temps est sujette à une colonisation bactérienne.
La racine distale (la plus résistante) est choisie, la profondeur du logement est comprise entre la moitié et les deux tiers de la longueur de cette racine. Quatre millimètres de matériau d'obturation endodontique doivent être préservés pour garantir l'étanchéité apicale. Un premier foret de désobturation (Torpan n° 70) est utilisé pour désobturer la gutta-percha, suivi d'un foret de pénétration et de l'alésoir correspondant au diamètre du tenon choisi. L'alésoir est légèrement surdimensionné afin de garantir la « passivité » du tenon dans le logement canalaire et de laisser la place au système de collage. Le tenon est alors sorti de son emballage (blister individuel) et essayé dans le canal (fig. 11), puis il est sectionné à la hauteur présumée de la reconstitution coronaire et réessayé (fig. 12). Il est de préférence sectionné à l'aide d'un disque diamanté ou, à défaut, sous spray avec une fraise diamantée.
Il est fondé sur la technique de mordançage à l'acide orthophosphorique à 37 %, de l'application d'un adhésif dual et d'un composite dual permettant à la fois de coller le tenon et de reconstituer la portion coronaire de la dent.
L'agent de mordançage doit être relativement fluide pour pouvoir être injecté dans le canal (fig. 13) jusqu'au remplissage de la portion canalaire (fig. 14). Le rinçage doit être important et durer au moins 15 secondes. Une pointe de papier absorbe alors les excès d'humidité. Il est fondamental d'observer la pointe de papier après son retrait car, parfois, des traces « bleutées », synonyme de persistance d'acide non éliminé par le rinçage, sont visibles. Il est alors préconisé d'injecter avec une seringue d'irrigation de l'eau distillée dans le logement canalaire (fig. 15) car la persistance d'acide au fond du canal pourrait compromettre la qualité du collage. La portion coronaire est séchée sans être desséchée (séchage « doux » afin d'éviter le collapsus des fibres de collagène).
Certains adhésifs sont incompatibles avec des composites de collage et de reconstitution coronaire chémopolymérisables ou duals. Lors de l'application directe d'adhésif dans le canal, l'intensité lumineuse peut s'avérer insuffisante pour garantir son activation photonique. Il en résulte alors une zone non polymérisée en surface où des monomères libres sont susceptibles de diffuser dans le composite de reconstitution et d'être responsables du décollement des reconstitutions corono-radiculaires [31]. Degrange décrit plus précisément ces phénomènes de compatibilité [32]. L'amorçage d'une chimiopolymérisation requiert la présence de radicaux libres obtenus lors du mélange d'un peroxyde organique et d'une amine tertiaire. Cette réaction d'oxydoréduction conduit à la formation de radicaux libres qui amorcent la polymérisation en s'attaquant aux doubles liaisons méthacrylate. Le problème survient lorsque les monomères acides de l'adhésif non polymérisés, susceptibles de diffuser, consomment prioritairement les amines tertiaires du composite de collage et de reconstitution. L'amine tertiaire n'est plus disponible pour la formation des radicaux libres. La chimiopolymérisation est donc inhibée. C'est pour cette raison qu'il faut coupler l'adhésif XP BondTM à son activateur (Self-Cure Activator) qui contient un sulfinate de sodium qui va participer à la formation de radicaux libres phényle ou sulfonyle en réagissant avec les monomères acides libres assurant ainsi une chimiopolymérisation efficace [33]. L'activateur joue ainsi un double rôle. D'une part, il garantit la polymérisation de l'adhésif au fond du logement canalaire (là où l'intensité lumineuse est faible) et, d'autre part, il favorise la polymérisation avec le composite de collage et de reconstitution dual. L'adhésif est mélangé à part égale avec l'activateur (1/1). Plusieurs couches du mélange obtenu sont placées à l'aide d'une Composibrush (fabriqué par RTD, distribué par Dentsply) (fig. 16) dont la partie travaillante cylindrique est reliée au manche par une extrémité très fine qui permet d'accéder jusqu'au fond du logement canalaire. Au bout de 20 secondes, on place une pointe de papier qui absorbe les excès d'adhésif et on sèche légèrement pour étaler l'adhésif et favoriser l'évaporation des solvants. L'adhésif est photopolymérisé pendant 20 secondes.
Parallèlement, le tenon est juste dégraissé à l'alcool : il ne nécessite aucun traitement de surface supplémentaire. En effet, on avait précédemment préconisé [34] d'appliquer une couche d'adhésif sur les tenons non silanés et de la photopolymériser pendant 20 secondes. Cela avait pour conséquence d'augmenter les valeurs d'adhésion par rapport à celles obtenues par les tenons non traités. Or, les résultats obtenus dans notre étude montrent que les tenons non silanés mais avec de l'adhésif obtiennent des valeurs d'adhésion similaires à celles des tenons silanés sans application d'adhésif. Cette étape peut donc être supprimée sans compromettre la qualité du collage.
Le composite de collage et de restauration utilisé est le Core.XTM Flow (Dentsply). Il est injecté directement dans le logement canalaire par l'intermédiaire de son embout fin (fig. 17). Dans la foulée, le tenon est placé dans le logement et maintenu durant la photopolymérisation pendant 20 secondes (fig. 18). Ensuite, une matrice Accor (fabriquée par SPPH, distribuée par Dentsply), circonférentielle, conique et en plastique, est ajustée au niveau cervical puis remplie par une couche d'environ 2 à 3 mm de composite qui est photopolymérisée (fig. 19), et ce jusqu'à atteindre la hauteur souhaitée de la reconstitution coronaire. Une photopolymérisation d'au moins 40 secondes est recommandée. La reconstitution corono-radiculaire de la dent dépulpée est alors terminée (fig. 20).
Avec les tenons ainsi préconditionnés, le protocole clinique de reconstitution de la dent dépulpée est simplifié sans pour autant porter atteinte à la qualité de l'adhésion. En effet, en proposant un tenon silané de façon industrielle, le praticien n'a plus à appliquer lui-même un agent de liaison pour favoriser l'adhésion au composite de collage et de reconstitution.