Clinic n° 04 du 01/04/2009

 

GÉRER

PASSIONS

Catherine FAYE  

Propos recueillis par

Il a une voix sans âge. Avec d'infimes vibrations en fins de phrases qui font penser à un personnage de film d'aventure des années 1950. Francis Janot semble avoir traversé des millénaires à la vitesse d'une page de roman tournée avec fougue. Diplômé de la faculté d'odontologie de Nancy, il n'a pas su résister à l'appel des mystères de l'Égypte ancienne et s'est laissé happer par une carrière d'archéologue. À 49 ans, il est aujourd'hui, entre autres, professeur dans cette même faculté, ancien membre scientifique de l'Institut français d'archéologie du Caire et auteur de « Momies : rituels d'immortalité dans l'Égypte ancienne1 ». Son talent : relier les mondes. Comme un passeur entre l'Antiquité et le présent.

D'où vous vient cette vocation ?

F. Janot : J'ai toujours voulu être égyptologue. Lorsque j'étais enfant, il y avait chez mon grand-père un « oushebi », une statuette funéraire, qui me fascinait. J'ai toujours baigné dans une atmosphère d'objets anciens. Tout ce qui touche à l'Antiquité et aux légendes n'a jamais cessé de m'intéresser.

Mais alors, pourquoi avoir fait des études dentaires ?

F. Janot : Ma famille appartenait au monde médical. Un grand-oncle membre de l'Institut, super-héros de la pharmacie galénique (étude des médicaments), une mère pharmacienne, une tante chirurgien-dentiste... et un père qui s'intéressait beaucoup à l'Antiquité ! Je dirais que c'est le destin qui m'a fait suivre un cursus dentaire. Et je ne l'ai pas regretté car l'odontologie a été très utile sur mes chantiers de fouilles.

Comment avez-vous changé de cap ?

F. Janot : J'ai obtenu mon diplôme de chirurgien-dentiste en 1985 à Nancy. J'avais d'ailleurs choisi un sujet sur l'état maxillo-facial de certaines momies égyptiennes. Dans la foulée, j'ai passé mon DEA d'égyptologie à La Sorbonne, à Paris : ma thèse portait sur les instruments d'embaumement dans l'Égypte ancienne. Et puis, j'ai appris à déchiffrer les hiéroglyphes, l'écriture hiératique, à l'École des langues orientales anciennes de l'Institut catholique de Paris. Après tout cela, j'ai pu effectuer des fouilles en Égypte, au Soudan, en Libye... Je suis égyptologue depuis 25 ans.

Pourquoi cet attrait particulier pour l'Égypte ?

F. Janot : J'aime le soleil, le sable et je ne veux pas avoir les pieds dans l'eau quand je fais des fouilles! Plus sérieusement, il n'y a pas de civilisation aussi belle et autant de choses à étudier qu'en Égypte. Et puis, le climat, l'hygrométrie permettent de retrouver des corps préservés. Même au Pérou, les momies sont souvent découvertes sous forme de squelette.

Qu'est-ce qui vous intéresse le plus dans l'archéologie ?

F. Janot : La vie quotidienne des populations anciennes qui possédaient l'écrit. Tout mon travail devient alors un peu comme une enquête policière. Les différents éléments étudiés (vestiges osseux exhumés, matériel archéologique retrouvé sur place...) me donnent une direction complète. Les ossements abîmés, les dents permettent souvent la datation des squelettes ou des corps retrouvés dans le sable. Tout est lié. Et l'odontologie est nécessaire dans l'étude des civilisations disparues. C'est entre autres grâce à cela que j'ai pu trouver la profession de la momie cordonnière. Des marques révélatrices sur les molaires m'ont renseigné sur l'existence d'un mouvement fonctionnel circulaire effectué quotidiennement de gauche à droite, destiné à mâcher, donc à assouplir, des morceaux de cuir ou des lanières de cuir introduites à un moment donné du geste professionnel dans les espaces interdentaires.

Tout cela fait penser aux romans policiers de Fred Vargas...

F. Janot : J'apprécie ses livres et j'aimerais bien la rencontrer. Mais ses recherches d'historienne archéologue portent sur les ossements animaux du Moyen-Âge alors que moi, je m'intéresse aux 206 os du squelette humain. Sinon, il y a aussi les 14 volumes des « Kay Scarpetta » de Patricia Cornwell : la vie de l'héroïne s'organise essentiellement autour de son laboratoire où elle dissèque et analyse les victimes de monstres psychopathes.

Peut-on dire que vous préférez les morts aux vivants ?

F. Janot : Les morts ne me font pas peur, les vivants si, quand je vois comment ils se comportent. Et puis, j'ai un grand respect pour ces « personnes anciennes » : elles n'ont rien demandé et se retrouvent dans un musée alors qu'elles reposaient chez elles dans une tombe. J'aime la rencontre avec des femmes ou des hommes âgés de 2 500 ou 4 000 ans dont je ne saurai jamais ce qu'elles ou ils ont ressenti.

Vous n'essayez pas d'imaginer leur histoire ?

F. Janot : Non. Je ne me fonde que sur des faits scientifiques. J'essaie d'être le plus rigoureux possible. Mon rôle est d'associer les indices physiques, anatomiques avec les indices philologiques (étude des écrits) et les décors des parois dans les tombes. Je n'invente rien.

Possédez-vous votre propre collection de momies ?

F. Janot : Je ne suis pas nécrophile et je n'en rêve pas la nuit ! Ce qui m'intéresse, c'est de maîtriser plusieurs disciplines et d'en jouer : entre les musées, les laboratoires scientifiques, la médecine, l'égyptologie... Je suis un peu comme un catalyseur.

Que faites-vous actuellement à Nancy ?

F. Janot : Je travaille à la faculté d'odontologie où je viens de mettre au point un nouveau mastère : Éthique de la santé et médecine légale. Vous savez, les sciences peuvent permettre de trouver un coupable : l'anthropologie, l'archéologie, l'odontologie médico-légale facilitent l'identification et la reconstitution de scènes de crime. Il s'agit là de complémentarité des compétences et des savoirs.

Des projets ?

F. Janot : Reprendre des fouilles, rencontrer un autre chirurgien-dentiste égyptologue, en former... Et puis, étudier les momies chinoises, un monde que je ne maîtrise pas encore. Pour le reste, je préfère brouiller les pistes car j'ai appris que pour vivre heureux, il faut vivre caché.

Vous croyez en un monde de l'au-delà ?

F. Janot : C'est trop intime. Je préfère garder le silence.

1. Éditions White Star