Prothèses et CFAO
T. COURSET L. RAYNALDY R. ESCLASSAN K. NASR
Les réhabilitations esthétiques en secteur antérieur reposent sur des protocoles codifiés depuis longtemps par de nombreux auteurs reposant sur une analyse et une conception esthétique du sourire (smile design et wax-up) et la transposition en bouche du projet esthétique sous forme d'une maquette en résine (mock-up), permettant au patient de s'approprier et de valider le plan de traitement [2].
Pour la...
Résumé
La révolution digitale touche tous les domaines et celui de la dentisterie ne fait pas exception.
On retrouve aujourd'hui au sein des cabinets dentaires un environnement numérique pouvant être très large : appareils photographiques, ordinateurs, tablettes, systèmes d'acquisition radiographique (2D et 3D), caméras d'empreintes optiques intra-orales, machines-outils, impression 3D, scanners faciaux...
La convergence des données issues de cet écosystème digital permet d'inclure notre patient au sein de nouveaux flux de travail numériques.
Un flux de travail numérique doit offrir un gain en efficacité, en précision, en confort, en ergonomie, en fiabilité, en temps et obtenir un échange plus efficient entre le laboratoire et l'équipe soignante [
Les réhabilitations esthétiques en secteur antérieur reposent sur des protocoles codifiés depuis longtemps par de nombreux auteurs reposant sur une analyse et une conception esthétique du sourire (smile design et wax-up) et la transposition en bouche du projet esthétique sous forme d'une maquette en résine (mock-up), permettant au patient de s'approprier et de valider le plan de traitement [2].
Pour la réalisation des restaurations d'usage, le prothésiste pourra s'appuyer sur le modèle issu du mock-up.
Menées classiquement, ces différentes étapes peuvent voir se succéder un certain nombre de variations allant de la réfection jusqu'à l'inadéquation entre la conception esthétique et la situation finale, pouvant générer de l'insatisfaction chez le patient comme chez le praticien.
Cela peut s'expliquer par plusieurs raisons :
– la totalité des protocoles de conception numérique du sourire (ex. : Photoshop Smile Design de McLaren, Aesthetic Digital Smile Design – ADSD – de Valerio Bini, Virtual Esthetic Project – VEP – de Hélène et Didier Crescenzo) ou des logiciels dédiés (ex. : Smile Designer Pro, DSP App, CADsmile, 3Shape Smile Design, Exocad Smile Creator, SmileCloud) reposent sur l'utilisation de photographies (2D). Lors de la réalisation du projet esthétique (wax-up), le prothésiste peut s'appuyer sur l'analyse et la conception du sourire faites sur ces photographies et sur les mesures s'y rapportant. L'empirisme et le talent du prothésiste influencent alors énormément la qualité du modèle de travail obtenu ainsi que sa fidélité au projet initial ;
– la perte de certains repères faciaux lors de la conception du projet esthétique (wax-up) ou lors de la réalisation des pièces prothétiques d'usage ;
– l'interprétation peut aussi être de mise lors de la fabrication des pièces prothétiques, surtout si cette dernière fait appel aux techniques traditionnelles.
En créant un clone numérique de notre patient, nous allons pouvoir, dès le départ, l'incorporer dans un flux digital intégral, reposant sur des logiciels et des procédures de CFAO (conception et fabrication assistées par ordinateur), dont l'objectif est d'apporter une prédictibilité du résultat final et une haute fidélité au projet établi.
Le « clonage numérique » du patient passe par l'association de différents dispositifs numériques (fig. 1) : photographies, vidéos, empreintes optiques, scan facial et radiographies. Cette approche facilite également la communication à la fois avec le laboratoire de prothèses, notamment si celui-ci est distant, l'équipe soignante pluridisciplinaire (prosthodontiste, parodontologiste, orthodontiste, implantologiste, chirurgien oral) mais également avec le patient.
Les photographies sont essentielles pour réaliser l'analyse esthétique et aider à établir un plan de traitement adapté. Leur nombre et leur type dépendront des logiciels et des méthodes employés (fig. 2).
À l'inverse de la photographie qui permet de capter uniquement un sourire figé, la vidéo permet de visualiser la cinétique du sourire et de l'expression.
Un flux de travail numérique impose la numérisation des arcades dentaires. La numérisation consiste en la transformation de données tridimensionnelles d'un objet en données informatiques.
Cette numérisation peut être réalisée soit à l'aide d'un scanner de table (généralement au laboratoire de prothèses), soit directement en bouche à l'aide d'un scanner intra-oral (ou caméra d'empreintes optiques) au cabinet dentaire (fig. 3).
S'il existe aujourd'hui un choix pléthorique de systèmes d'empreinte optique aux propriétés variables, certains critères demeurent primordiaux lorsqu'il s'agit de réhabilitation esthétique et plus particulièrement du secteur antérieur.
– Précision macro-anatomique : soit l'absence de distorsion de l'empreinte ; c'est un élément qui peut être critique en secteur antérieur de par la courbure de l'arcade plus ou moins marquée à ce niveau-là.
– Précision micro-anatomique : soit la précision locale, par exemple la qualité de l'enregistrement des limites. Si des facteurs connus influent sur cette valeur, comme le type de substrat ou bien les proximités de la gencive ou des dents adjacentes, certains scanners intra-oraux (par exemple, ceux utilisant la triangulation active) se révèlent plus sensibles à leurs effets [3].
– Profondeur de champ : il s'agit de la profondeur d'enregistrement possible sans perte de précision. Ce facteur influe également sur l'accès à des zones difficiles ou encore sur l'ergonomie de la prise d'empreinte.
– Vitesse d'acquisition : la vitesse sera très variable selon les caméras et leurs caractéristiques techniques, le logiciel associé et la puissance du poste informatique.
– Fichiers ouverts universels d'exportation (.stl ou .ply).
Il faut néanmoins vraiment garder à l'esprit que les systèmes d'empreintes optiques sont en perpétuelle amélioration, notamment par le biais de mises à jour logicielles.
La photographie est une aide précieuse mais ne reste qu'une simple représentation 2D du réel. Ainsi, suivant l'angle de prise de vue et l'interprétation du technicien de laboratoire, l'esthétique peut varier sur le modèle de travail.
Le scan facial est une reconstitution du visage en trois dimensions [4]. Il est fondé sur la photogrammétrie qui est une technologie utilisant des photographies sous différents angles couplées à un algorithme qui les compile afin de reconstruire un objet ou un espace en 3D.
Pour la reconstitution d'un visage, il sera nécessaire de réaliser une série de photos à 180o du patient et selon trois hauteurs. Il est conseillé d'avoir entre 30 et 50 photos pour une bonne précision [5].
Le but est avant tout de transmettre les références faciales afin de concevoir un projet esthétique tridimensionnel en remplaçant à la fois un arc facial ainsi qu'un Ditramax [6, 7].
Les scanners faciaux se déclinent sous différents aspects et à des prix très variables : sous forme d'une solution matérielle complètement dédiée et développée en ce sens (ex. : FaceHunter – Zirkonzahn) avec une précision importante ou comme un module accessoire d'une machine radiologique (ex. : CS 9600 – Carestream) avec une précision moindre ou encore, plus récemment, sous forme d'une application Smartphone et tablettes s'appuyant sur les nouvelles fonctionnalités de ces équipements (ex. : FaceID des iPhone et iPad) ou sur l'adjonction d'un module matériel dédié (ex. : BellusDentalPro – Bellus3D) (fig. 4).
Le projet esthétique ne sera pas réalisé directement sur le scan facial (car il n'est pas suffisamment précis avec des déformations importantes, notamment au niveau sagittal) mais grâce à l'alignement de ce dernier avec l'empreinte optique intra-orale qui servira de base de travail.
Cette étape d'alignement est prépondérante et conditionne en partie la réussite de notre traitement. Afin d'augmenter le nombre de points de repères, il est conseillé de réaliser un scan facial complémentaire avec un écarteur en place. L'utilisation d'un artifice de repérage (aligneur) frontal permet de faciliter la superposition des deux acquisitions (fig. 5).
La maturité des logiciels de conception et l'avènement de l'impression 3D ont fait grandement évoluer le concept originel.
Alors que les protocoles de conception numérique du sourire se fondaient initialement sur des logiciels de présentation (ex. : Microsoft Powerpoint ou Apple Keynote) ou de traitement d'images (ex. : Adobe Photoshop), depuis quelques années, des logiciels dédiés sont apparus (fig. 6). Ils permettent une analyse et une conception esthétiques du sourire simplifiées grâce à des étapes guidées et l'incorporation d'outils adaptés. Plus récemment, des solutions « clés en main » proposent de déléguer totalement l'analyse et la conception du sourire. Ces solutions s'adressent aux praticiens qui ne souhaitent pas réaliser d'analyses esthétiques ou à ceux qui préfèrent déléguer tout au laboratoire mais peuvent servir également pour les cas complexes où le laboratoire ne maîtrise pas suffisamment le flux numérique.
Dans un flux numérique, le wax-up est réalisé numériquement grâce à des logiciels de CAO (conception assistée par ordinateur) sur les arcades numérisées, en s'appuyant sur l'inter-connectivité qui peut exister avec les logiciels d'analyse et de smile design.
En ce sens, les logiciels de CAO intégrant les fonctionnalités de smile design, voire offrant la possibilité d'incorporer le scan facial, présentent un réel avantage (fig. 7).
Après conception informatisée, le projet esthétique digital est imprimé. De nombreuses technologies sont disponibles sur le marché mais, pour des questions d'accessibilité de la technologie et de définition de surface (en couches de 50 ou 25 μm), les imprimantes à bain de résine SLA ou DLP seront préférées. L'utilisation d'une solution automatisée du post-traitement garantit par ailleurs un résultat optimal et reproductible (fig. 8).
Une fois le modèle imprimé, une clé de transfert en silicone rigide permettra classiquement, à l'aide de résine Bis-acryl, d'essayer le projet esthétique en bouche (mock-up) et de procéder à sa validation après d'éventuelles modifications (fig. 9).
La validation du projet prothétique ayant été faite sur le plan fonctionnel et esthétique, une empreinte optique du mock-up est faite. Il conviendra par la suite de dupliquer ce dernier et de le reproduire à l'identique pour les restaurations finales.
De façon classique et communément adoptée, les préparations sont calibrées à travers le mock-up puis réalisées conformément aux grands principes de préparation pour restaurations esthétiques antérieures (facettes, couronnes) (fig. 10).
Pour éviter les erreurs inhérentes aux empreintes physico-chimiques (liées aux matériaux, à l'opérateur, au traitement de l'empreinte...) et profiter d'un flux de travail totalement numérique, la situation clinique est numérisée directement en bouche par l'utilisation d'un scanner intra-oral (fig. 11).
Pour la réalisation des restaurations d'usage, le prothésiste dispose donc du modèle digital avec les dents préparées, du modèle digital antagoniste et du modèle digital du mock-up (soit issu du projet esthétique numérique, soit, mieux, enregistré lors de l'essayage en bouche).
Le modèle digital du mock-up sera « superposé » au modèle de travail et permettra au prothésiste de reproduire le plus fidèlement possible le projet validé. Certains logiciels de CAO possèdent une fonction de « copie » simplifiant même la procédure (fig. 12 et 13).
Une fois les restaurations modélisées se pose le problème de leur fabrication qui renvoie à plusieurs questions : quel matériau ? quel procédé de fabrication ? quid de la stratification ?
Le parti pris d'un flux entièrement digital impose plusieurs contraintes :
– utiliser des matériaux esthétiques pouvant être employés de façon monolithique ;
– utiliser des matériaux pouvant être mis en forme par FAO (fabrication assistée par ordinateur) ;
– ne pas réaliser de stratification ou effectuer une stratification a minima.
Il va sans dire que l'utilisation de métal (en monolithique ou sous forme de chape) est donc proscrite.
Ainsi, il existe trois grandes familles de matériaux dentaires pouvant répondre à ces critères : les céramiques, les composites et les hybrides.
Bien que très performants, les composites et hybrides usinés ne pourront être choisis comme matériaux d'usage du fait de leur susceptibilité à l'usure et de leur changement de teinte dans le temps [6].
La FAO renvoie classiquement vers deux procédés de fabrication : l'usinage et l'impression 3D.
Un des avantages de l'usinage est qu'il n'entraîne pas de changement d'état du matériau : il y a donc une diminution des risques d'incorporation de défauts (inhomogénéités, bulles, non-respect des températures...). Ses principaux défauts sont la perte de matériau, l'usure des fraises et des machines-outils et, enfin, le stress d'usinage du matériau [8, 9]. En effet, si tous les matériaux existants peuvent être usinés, tous ne présentent pas la même aptitude à l'usinage. On parle d'usinabilité du matériau. Ce paramètre aura comme répercussions l'usure prématurée des fraises, le temps d'usinage et la finition des limites. Ce dernier point est important car il assure une meilleure adaptation des restaurations, garante d'une plus grande pérennité [10]. De nombreuses études ont mis en évidence la présence d'un écaillage des bords lors de l'usinage des céramiques vitreuses [11, 12].
Par ailleurs, la constante amélioration des propriétés mécaniques des matériaux mène à une diminution de la capacité de mise en forme de certains matériaux usinés sous leur état final de cristallisation.
Cependant, les vitrocéramiques usinées sous leur forme non cristallisée montrent un taux d'écaillage très élevé. Pour cette raison, certains fabricants commercialisent leurs vitrocéramiques sous une forme pré-cristallisée intermédiaire, 40 % de cristaux au lieu de 70 % (ex. : e.max CAD – Ivoclar Vivadent).
Ainsi, une solution « hybride » a été développée pour les restaurations en céramique vitreuse, et notamment pour les pièces fines, à savoir d'usiner de la cire, qui est un matériau très tendre avec une aptitude à l'usinage forte, puis de réaliser une technique de pressée [13] (fig. 14).
Enfin, actuellement, l'impression 3D ne permet pas l'impression de céramiques dentaires. Il est cependant possible d'imprimer les pièces en cire pour une technique de pressée, bien que la précision soit encore inférieure à celle obtenue par usinage de la cire.
Une restauration monolithique est par définition constituée d'une seule « masse » de matériau. Pour gagner en esthétique, il est possible d'effectuer un maquillage de surface. Dans les cas plus exigeants, il sera possible d'effectuer une stratification légère dite en cut-back, c'est-à-dire intéressant essentiellement le bord libre et le tiers incisal.
Le compromis est tout à fait acceptable pour gagner en esthétique tout en limitant le risque d'écart vis-à-vis du projet esthétique initial (fig. 15).
L'ensemble des outils digitaux disponibles permet de créer un flux numérique sans interruption. Les temps cliniques sont également optimisés et le nombre de séances réduit.
Cependant, si le postulat de départ est la fidélité du résultat final au projet esthétique, bien souvent la comparaison des modèles numériques du projet esthétique digital (wax-up digital) et du résultat final nous amène à observer tout de même certaines variations (fig. 16).
Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer les variations observées :
– le degré d'imprécision de la superposition des deux modèles numériques (mock-up et préparations) ;
– le logiciel de conception utilisé pour la modélisation des pièces prothétiques peut ne pas être capable de copier l'anatomie du projet esthétique, si ce n'est de façon sommaire. Le prothésiste doit alors, informatiquement, par l'utilisation d'outils d'adjonction et de réduction, parvenir à s'inscrire au plus proche du projet initial ;
– les difficultés liées aux préparations pelliculaires :
• la volonté de respecter les épaisseurs minimales recommandées par le fabricant,
• le risque de fracture à l'usinage des céramiques ou la manipulation délicate des pièces en cire ;
– des restaurations en bouche peuvent aussi en être la cause ou y participer. Ce paramètre est difficilement quantifiable ; il est directement lié à l'expérience clinique de l'opérateur.
Les outils numériques actuels révolutionnent la prise en charge des patients impliquant une réhabilitation esthétique antérieure.
La réalisation d'un clone numérique patient grâce à ces outils modernes permet de compiler toutes les données nécessaires à l'élaboration d'un plan de traitement pluridisciplinaire, tout en améliorant la communication patient/praticien/prothésiste et en facilitant les échanges.
L'analyse esthétique numérique devient un élément clé du diagnostic et de la thérapeutique via le projet esthétique. Une prévisualisation du projet esthétique tridimensionnelle au sein du visage est possible par la fusion de l'empreinte 3D des arcades et du scan facial. Ce dernier est un outil précieux de communication avec le laboratoire afin de transférer les indispensables repères esthétiques faciaux. Son intégration dans les Smartphones et tablettes doit tendre à en démocratiser l'usage.
Les logiciels de conception numérique permettent de réaliser le wax-up tridimensionnel (projet esthétique) qui sera validé, une fois transposé en bouche, par le patient. Ces mêmes logiciels permettent également de simplifier la conception des restaurations d'usage en restant au plus près du projet esthétique validé.
Ainsi, les outils numériques ont pour rôle de faciliter et de rendre plus précises les réhabilitations esthétiques du sourire. Il s'agit néanmoins d'outils nécessitant une réelle courbe d'apprentissage.
Quoi qu'il en soit, la technologie ne peut se substituer à la réflexion, la sensibilité, l'expertise et le savoir-faire du couple dentiste/prothésiste dentaire qui demeure la clé de voûte de la réussite d'un traitement esthétique.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Teva Courset - Ancien interne en médecine buccodentaire
Luc Raynaldy - Praticien hospitalier
Rémi Esclassan - Maître de conférences des Universités, Praticien hospitalier
Karim Nasr - Maître de conférences des Universités, Praticien hospitalier
Faculté de chirurgie dentaire de Toulouse, Université Paul Sabatier Toulouse 3
CHU Toulouse, Service odontologie et traitement dentaire