Clinic n° 03 du 01/03/2024

 

Dossier

Venceslav STANKOV*   Stavros PELEKANOS**   Bozhidar NASTANLIEV***   Benjamin CORTASSE****  


*DDS, Exercice libéral à Plovdiv (Bulgarie).
**DDM, Exercice libéral à Athènes (Grèce).
***DDM, Exercice libéral à Sofia (Bulgarie).

Face à la demande croissante de restaurations esthétiques, l’élongation coronaire en secteur antérieur est souvent nécessaire lors d’une réhabilitation globale. Dans la recherche d’une dentisterie la moins invasive possible, les procédures sans lambeaux se sont développées. Néanmoins, il y a encore de nombreux cas pour lesquels l’élévation de lambeaux s’avère nécessaire. Alors comment prendre la bonne décision avant de démarrer le traitement ? Et quels éléments peuvent nous aider dans cette prise de décision ?

L’élongation coronaire est un terme utilisé pour une variété de techniques chirurgicales (figure 1). Par définition, il s’agit d’une procédure qui permet d’exposer une plus grande partie de la structure de la dent en retirant de l’os et des tissus mous. Historiquement, l’élongation coronaire (EC) était axée sur des objectifs fonctionnels [1], permettant à l’origine d’accéder aux caries ou aux fractures sous la ligne gingivale ou de fournir davantage de structure dentaire périphérique pour les couronnes et les restaurations (effet férule).

Aujourd’hui, la technique d’EC est de plus en plus utilisée afin d’améliorer l’esthétique du sourire du patient.

Les indications sont spécifiques à chaque cas et peuvent être résumées comme suit :

- améliorer les proportions des dents. Les proportions les plus agréables pour les incisives se situent entre 75 et 85 % ;

- réduire le sourire gingival. Les patients dont la ligne des lèvres est haute bénéficient souvent d’un avantage esthétique lorsque la quantité de gencive visible est réduite ;

- harmoniser l’architecture gingivale. Souvent, pour harmoniser les dents, il est nécessaire d’atteindre une certaine symétrie au niveau de la gencive ;

- améliorer la forme des dents. En positionnant le zénith au bon endroit, nous pouvons obtenir une forme de dents plus agréable et améliorer simultanément l’apparence des papilles.

L’EC est une procédure relativement simple qui présente d’énormes avantages esthétiques. Dans le même temps, plusieurs groupes ont proposé différentes techniques pour atteindre les objectifs avec des options allant de l’approche par lambeau à l’approche sans lambeau.

Il est intéressant de noter que les partisans de chaque technique revendiquent leur supériorité sur la base de cas spécifiques. Certains soutiennent qu’une procédure avec lambeau est nécessaire pour obtenir des résultats optimaux, tandis que d’autres préconisent une approche sans lambeau, citant ses avantages.

Le but de cet article est de fournir un cadre clair pour choisir la procédure appropriée et d’identifier les indicateurs cliniques qui peuvent guider notre prise de décision.

Nous proposons un système de classification fondé sur la relation entre les papilles et les angles des lignes de transition de la dent. Nous pouvons ainsi savoir quelle méthode opératoire est la plus adaptée à une situation donnée.

En établissant une approche systématique pour choisir entre les procédures avec ou sans lambeau, nous visons à améliorer la prise de décision clinique et à optimiser les résultats du traitement dans les cas d’allongement de la couronne.

Pour comprendre la décision de procéder avec ou sans lambeau, il faut d’abord définir les objectifs de l’EC.

Ils peuvent être divisés en deux groupes : les objectifs biologiques et les objectifs esthétiques.

• D’un point de vue biologique, nous devons rétablir l’espace biologique et le complexe dento-gingival dans son ensemble, en position plus apicale. Le terme « espace biologique », introduit en 1962, a joué un rôle important dans la littérature relative à l’allongement des couronnes. Il fait référence à la distance entre le fond du sulcus et le rebord osseux crestal ; il est estimé à environ 2 mm. On estime que le complexe dento-gingival mesure environ 3 mm de long, avec une profondeur moyenne du sulcus de 1 mm [2]. Des études ont montré que la violation de l’espace biologique peut entraîner une inflammation, une migration de l’épithélium de jonction et une résorption de la zone vestibulaire [3].

• D’un point de vue esthétique, l’objectif n’est pas seulement de repositionner apicalement la marge gingivale en 2D. À la fin du traitement, les tissus mous doivent entourer la dent de manière biologiquement stable et esthétiquement agréable. Au niveau vestibulaire, le tissu gingival et la surface de la dent doivent se rencontrer délicatement avec un profil en « ailes de mouette » (figure 2). Si la gencive est trop épaisse dans cette zone par rapport au profil d’émergence de la dent, l’aspect n’est pas naturel et l’esthétique n’est pas optimale. En outre, cette situation est instable et susceptible de récidiver, avec un déplacement coronaire de la marge gingivale à l’avenir [4]. Au niveau interproximal, la position finale des papilles doit être un peu en retrait par rapport aux angles des lignes de transition des dents (figure 3). D’une part, c’est esthétiquement plus agréable. D’autre part, si les tissus mous interproximaux se trouvent devant les angles de la ligne de transition, la situation est à nouveau instable à long terme et la marge gingivale est susceptible de rebondir de façon coronaire (figure 4).

En gardant à l’esprit ces objectifs biologiques et esthétiques, nous présentons deux cas d’élongation coronaire. Au départ, les deux cas présentent des similitudes en termes de planification et d’ampleur de la gingivectomie nécessaire [5] (figure 5).

Dans les deux cas, nous avons entamé le processus en créant un sourire en 2D, qui a ensuite été transféré sur Exocad pour une conception en 3D des dents et d’une maquette ultérieure. Une fois le mock-up validé par le patient, nous sommes passés à la phase chirurgicale (figure 6). Notez que les deux cas sont planifiés pour un allongement de la couronne presque identique, d’environ 2 mm.

La gingivectomie est réalisée à l’aide d’un bistouri électrique (figure 7). La pointe est inclinée à 90 % vers la gencive. Dans le premier cas, la maquette a été utilisée comme référence. Dans le second cas, la référence était la jonction amélo-cémentaire des dents car elle coïncidait avec la conception.

Jusqu’à présent, les deux cas se ressemblent beaucoup. Pour comprendre la différence et la nécessité d’une approche chirurgicale différente, nous devons nous concentrer sur l’épaisseur du tissu et sa relation avec les angles de la ligne de transition [6].

CAS N° 1

Après la gingivectomie, les angles des lignes de transition et la position des papilles sont soigneusement évalués. Il est important que les tissus mous soient en bonne relation avec la surface vestibulaire des restaurations finales et que les papilles soient derrière les angles de la ligne de transition [7] (figure 8).

Sur la base de cette évaluation, nous avons décidé de procéder à un allongement de la couronne sans lambeau, en utilisant des techniques peu invasives. L’objectif était de préserver autant que possible les papilles tout en obtenant le profil d’émergence souhaité.

Afin de restaurer l’espace biologique, l’os doit être déplacé de 3 mm en direction apicale par rapport à la nouvelle marge gingivale [8]. Lorsque le tissu s’épaissit et que les positions des papilles sont adéquates, une approche simple avec un embout piézo (R1D, W&H) est réalisée sans lambeau (figure 9).

Les restaurations prothétiques sont par la suite mises en place et participent à la stabilité des tissus. Le résultat permet une restauration du sourire de manière optimale (figure 10).

CAS N° 2

Après la gingivectomie initiale, une évaluation plus poussée a révélé la nécessité d’un remodelage tissulaire plus important pour obtenir le profil d’émergence et l’architecture papillaire souhaités [9].

En effet, les tissus mous vestibulaires sont très épais et les papilles se trouvent devant les angles de la ligne de transition (figure 11).

Par conséquent, un lambeau a été soulevé pour permettre un remodelage précis des contours gingivaux et un positionnement optimal des papilles. Le résultat est un sourire harmonieux et esthétique, avec un meilleur profil des papilles.

Le but ici est de penser aux tissus (os et gencive) et de positionner l’ensemble du complexe ostéo-muqueux marginal en bonne relation avec les formes finales des dents. Pour y parvenir, il faut d’abord créer une papille d’épaisseur partielle et un lambeau d’épaisseur totale. Les tissus mous qui restent sur l’os et la surface de la dent seront retirés (figure 12).

Il faut ensuite travailler sur l’épaisseur et le profil de l’os ; il s’agit d’une combinaison :

- d’ostéotomie : élimination de l’os de soutien associé à la dent afin de positionner l’espace biologique en position apicale ;

- d’ostéoplastie : élimination de l’os qui ne soutient pas la dent afin de créer un profil osseux plus harmonieux et plus stable (figure 13).

Le résultat à 10 jours post-opératoire montre la bonne adaptation des tissus sur les surfaces et l’harmonisation des contours (figure 14).

Les restaurations prothétiques sont par la suite mises en place et participent à la stabilité des tissus. Le résultat permet une restauration du sourire de manière optimale (figure 15).

CONCLUSION

En présentant ces deux cas, nous soulignons l’importance d’un plan de traitement individualisé fondé sur une observation minutieuse des angles de la ligne et des papilles. L’approche choisie peut varier en fonction des besoins spécifiques de chaque patient (figure 16).

Lorsque l’épaisseur des tissus est acceptable et que les papilles sont en bonne position par rapport aux angles de la ligne de transition, une approche sans lambeau est recommandée (cas n° 1).

Si les tissus sont épais et que les papilles sont en avant des angles de la ligne, une approche par lambeau est recommandée afin d’amincir les tissus et de restaurer une architecture favorable des tissus mous.

Un arbre décisionnel permet une prise de décision rapide et tient compte de la nécessité ou non de réaliser une restauration prothétique (figure 17).

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Tarnow D, Stahl SS, Magner A, Zamzok J. Human gingival attachment responses to subgingival crown placement marginal remodeling. J Clin Periodontol 1986;13(6):563-569.
  • 2. Schmidt JC, Sahrmann P, Weiger R, Schmidlin PR, Walter C. Biologic width dimensions: A systematic review. J Clin Periodontol 2013;40(5):493-504. [doi:10.1111/jcpe.12078]
  • 3. Gargiulo AW, Wentz FM, Orban B. Dimensions and relations of the dento-gingival junction in humans. J Periodontol 1961;32:261-267.
  • 4. Lee EA. Aesthetic crown lengthening: Classification, biologic rationale, and treatment planning considerations. Pract Proced Aesthet Dent 2004;16(10):769-778.
  • 5. Goel A, Mott DA, Wilkerson C, Ellzey AT. Concepts and considerations for surgical crown lengthening. This review of surgical crown lengthening includes discussions of presurgical planning, surgical technique and postprocedural healing. Decisions in Dentistry 2021:36-39.
  • 6. Yeh S, Andreana S. Crown lengthening: Basic principles, indications, techniques and clinical case reports. NY State Dent J 2004;70(8):30-36.
  • 7. Mele M, Felice P, Sharma P, Mazzotti C, Bellone P, Zucchelli G. Esthetic treatment of altered passive eruption. Periodontol 2000 2018;77(1):65-83. [doi:10.1111/prd.12206]
  • 8. Tarnow DT, Magner AW, Fletcher P. The effect of the distance from the contact point to the crest of bone on the presence or absence of the interproximal dental papilla. J Periodontol 1992;63(12):995-996.
  • 9. Martegani P, Silvestri M, Mascarello F, Scipioni T, Ghezzi C, Rota C, Cattaneo V. Morphometric study of the interproximal unit in the esthetic region to correlate anatomic variables affecting the aspect of soft tissue embrasure space. J Periodontol 2007;78(12):2260-2265.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.