CRITÈRES DE DÉCISION THÉRAPEUTIQUE LORS DE L’IMPLANTATION EN SECTEUR ANTÉRIEUR
Dossier
Damien FEUILLET* Raphaël BARTH** François BOSCHIN*** Romain DEGAEY**** Ronan BARRÉ***** Matthieu RIMBERT******
*Ancien interne des Hôpitaux, Ancien AHU en Parodontologie, Ancien attaché hospitalier. Président de la SFPIO Rhône-Alpes. Exercice libéral en Parodontologie et en Implantologie à Lyon.
**Ancien attaché du service de Parodontologie à Lyon. Trésorier de la SFPIO Rhône-Alpes. Exercice libéral en Parodontologie et en Implantologie à Lyon.
***MCU-PH en Parodontologie, Responsable du Département de Parodontologie et du DU d’Implantologie clinique, Faculté Dentaire de Lille. Responsable de l’UF d’Implantologie, Service d’Odontologie, CHRU de Lille. Exercice libéral en Parodontologie et en Implantologie à Marcq-en-Barœul.
****Ancien interne des Hôpitaux de Lille, Ancien AHU en Parodontologie. Exercice libéral en Parodontologie, Implantologie et Chirurgie orale à Marcq-en-Barœul.
*****Ancien AHU en Biologie. Chargé d’enseignement en Parodontologie. Président de la SFPIO Sud-Ouest. Co-fondateur du Cursus #PerioMind. Exercice libéral en Parodontologie et en Implantologie à Vic-Fezensac.
******Ancien AHU en Parodontologie. Trésorier de la SFPIO Sud-Ouest. Membre de la Bioteam Occitanie. Exercice libéral en Parodontologie et en Implantologie à Toulouse.
Le succès implantaire dans les secteurs antérieurs est le résultat d’un équilibre entre une situation anatomique, un protocole chirurgical et des choix prothétiques adaptés.
L’une des difficultés est de déterminer le bon protocole pour la situation clinique donnée. Cet article propose une méthode simple et précise pour détecter les menaces relatives à une situation clinique et choisir le protocole le plus sûr et le plus adapté.
L’avulsion d’une dent, particulièrement lorsqu’elle intéresse le secteur antérieur, est vécue comme une amputation d’autant qu’elle touche la sphère esthétique et émotionnelle. Le patient souhaite souvent une solution simple, rapide et modifiant peu son confort fonctionnel et esthétique. Le praticien de son côté se retrouve, dans une majorité des cas, devant un choix délicat : aller dans le sens du patient et réaliser une extraction/implantation immédiate – technique donnant de bons résultats mais limitée à des situations cliniques précises pour obtenir un résultat prévisible – ou mettre à profit les événements biologiques consécutifs à l’avulsion et réaliser un protocole d’extraction/implantation précoce ou différée – nécessitant plus d’étapes, avec des solutions temporaires moins satisfaisantes parfois pour le patient, mais qui se retrouve dans la plupart des cas plus reproductible. Plusieurs critères sont identifiés qui permettent de proposer une aide à la décision thérapeutique.
Dans le cadre d’une extraction/implantation immédiate, le processus de cicatrisation évoluera de la formation d’un caillot à 1 jour vers un tissu de granulation à 7 jours puis un os fibrillaire à 30 jours (en parallèle de la cicatrisation des tissus mous) alors que l’implantation précoce partira d’un os fibrillaire vers un os lamellaire à 180 jours (avec une cicatrisation muqueuse non stabilisée).
Une implantation tardive partira d’un os remodelé et de tissus mous stabilisés. Nous comprenons donc que les réponses inflammatoires et la cicatrisation des tissus durs et mous ne seront pas les mêmes avec des risques augmentés, pondérés ou écartés selon la technique utilisée.
Le choix d’une procédure médicale doit toujours être conduit par une réflexion sur le rapport bénéfice/risque pour le patient. Si le praticien souhaite tendre vers un résultat prévisible et pérenne, un protocole rigoureux de chirurgie doit être soumis à une évaluation des risques et des menaces de complications. Ces facteurs de risque sont clairement identifiés et résumés notamment par un outil d’évaluation de la difficulté d’une situation clinique : le SAC [1].
Ces facteurs de risques peuvent être classés en 2 groupes.
• Les facteurs généraux :
– statut médical général ;
– consommation de tabac ;
– demande esthétique du patient ;
– ligne du sourire.
• Les facteurs locaux :
– infection du site et parodontite non stabilisée ;
– phénotype ;
– anatomie et aspect des tissus mous ;
– pics osseux inter-proximaux ;
– déficit osseux ;
– forme des couronnes ;
– présence de restauration au niveau des dents adjacentes.
L’identification des menaces est importante et son intérêt est de conduire à un choix thérapeutique adapté.
À partir de ces facteurs, nous proposons une méthode d’évaluation des risques afin de guider le choix d’une procédure chirurgicale face à une situation clinique générale et locale.
L’examen général, les comorbidités associées aux pathologies générales et les différentes médications du patient permettront d’estimer sa capacité à cicatriser.
La planification prothétique est indispensable et reste l’objectif d’une réhabilitation implantaire. Cette analyse prothétique permet de définir des zones de confort et de danger de la future position implantaire et la zone d’implantation qui est caractérisée par la suite.
L’examen clinique esthétique (ligne du sourire, forme des dents, position des incisives latérales) déterminera si le patient présente des facteurs pouvant altérer le résultat esthétique ou non et permettra d’établir un plan de traitement adapté en amont de l’implantation (planification esthétique, orthodontie).
L’examen clinique des tissus durs et mous est fondamental et doit être confronté à l’axe optimal de l’implant défini par la planification prothétique. La qualité et la quantité des tissus peuvent être évaluées grâce à deux classifications, celle de Jensen et Terheyden [2] pour le volume osseux et celle de Maynard et Wilson [3] pour caractériser le parodonte, que nous choisissons comme critère d’évaluation.
Les largeurs de crête et le volume osseux vestibulaire sont évalués grâce à l’examen de tomographie (CBCT) et associés au type de parodonte pour définir les zones critiques. Les pics osseux des dents adjacentes sont évalués à l’aide d’une rétro-alvéolaire avec angulateur.
La synthèse des différentes informations cliniques et radiologiques aboutira à la validation d’une liste des vérifications à effectuer, associée à un score des menaces selon la technique et le cas. Cette liste peut être assimilée à une liste de vérification, présente dans toutes les activités humaines à risque (aéronautique, santé, énergie…).
Le choix entre les différentes techniques sera alors guidé en s’appuyant sur un système de score qui matérialise le rapport bénéfices/risques d’une situation clinique en fonction de la procédure chirurgicale.
Onze facteurs ont été identifiés et classés [4] auxquels nous attribuons une note de 0, 1 ou 2 en fonction d’une menace faible, modérée ou élevée. Ainsi, si le score est supérieur à 0, il existe au moins un risque spécifique ; plus le score est élevé plus les menaces sont importantes (tableau 1). En outre, pour une même situation clinique, nous pouvons avoir différentes attitudes thérapeutiques aboutissant chacune à un score spécifique, indiquant ainsi une certaine procédure plus qu’une autre [5].
Enfin, nous pouvons utiliser ce concept pour évaluer le risque de la mise en place d’une restauration prothétique immédiatement après l’implantation [6] (tableau 2).
Il est important d’avoir pleinement conscience qu’il s’agit d’évaluer la présence de menaces concernant les résultats, qui peuvent se concrétiser ou non. Une menace est une circonstance qui potentialise le risque d’erreur. Le score proposé est donc un score de prévisibilité de survenue d’erreurs, dont la complication est une évolution défavorable. Gérer les menaces, c’est anticiper les résultats futurs.
Ainsi, le score est établi sur un intervalle de 0 à 19 pour la décision chirurgicale. Plus le score est élevé, plus la technique évaluée est exposée à des menaces de survenue d’altération de résultats. Le choix d’une technique peu soumise à des menaces est ainsi guidé par un score faible.
De même, concernant la mise en charge immédiate, le score est compris entre 0 et 9 [7]. Plus le score est élevé et plus les menaces de survenue d’altération de résultats peuvent se concrétiser.
Ainsi, un score de 4 détournera le praticien de l’implantation immédiate, des scores supérieurs pouvant être acceptés pour les implantations précoces et différées.
L’évaluation du rapport bénéfice/risque d’un traitement doit guider chaque décision thérapeutique du praticien pour le patient dont il a la responsabilité. Il ne s’agit ni de prudence excessive ni de témérité ; au contraire, c’est une analyse objective d’une situation clinique afin de définir la technique la plus adaptée et la plus prévisible. Un guide de décision thérapeutique est destiné au praticien débutant, pour affiner son analyse pré-implantaire, comme au praticien expérimenté, qui peut l’utiliser comme outil de communication avec son patient afin d’expliquer un plan de traitement, ou simplement comme aide de diagnostic.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.