Dossier
Thomas MARQUILLIER* Caroline LEVERD** Caroline DELFOSSE*** Thomas TRENTESAUX**** Céline CATTEAU*****
*MCU-PH, Odontologie pédiatrique, Université de Lille, CHU Lille.
**AHU, Odontologie pédiatrique, Université de Lille, CHU Lille.
***PU-PH, Odontologie pédiatrique, Université de Lille, CHU Lille.
****MCU-PH, Odontologie pédiatrique, Université de Lille, CHU Lille.
*****MCU-PH, Prévention-Santé publique, Université de Lille, CHU Lille.
Avec 878 millions de cas estimés en 2015 dans le monde, l’hypominéralisation molaires-incisives est une préoccupation grandissante de la profession. Un dépistage et une prise en charge précoces sont essentiels pour en limiter les conséquences fonctionnelles et esthétiques.
L’hypominéralisation molaires-incisives (MIH) constitue en France et à travers le monde une préoccupation grandissante dans l’exercice de la médecine bucco-dentaire. Le nombre de cas observés en pratique quotidienne semble augmenter ces dernières années et demande aux chirurgiens-dentistes de se réinventer face à cette maladie émergente qui n’est pour autant pas nouvelle. En 1912, Turner faisait déjà état de cas d’hypominéralisation idiopathique. Des formes possibles de MIH ont également été décrites dans une population archéologique d’enfants et d’adolescents des 17e et 18e siècles provenant d’un cimetière londonien. Les termes employés dans la littérature pour désigner les cas observés se sont multipliés dès les années 1970 : premières molaires permanentes hypominéralisées, hypomine?ralisation idiopathique des premières molaires permanentes, hypominéralisation des premières molaires permanentes non provoquée par le fluor ou encore cheese molars [1]. C’est en 2001 que le terme de Molar Incisor Hypomineralization, qui fait consensus aujourd’hui, a été proposé par Weerheijm, et al. [2].
L’objectif de cet article est d’aborder en trois questions les aspects épidémiologiques, étiopathogéniques et cliniques de la MIH.
L’hypominéralisation molaires-incisives est définie comme une pathologie affectant la denture permanente, caractérisée par des défauts amélaires qualitatifs, d’origine systémique, touchant une ou plusieurs premières molaires et préférentiellement les cuspides d’appui. Ces défauts sont fréquemment associés (70 % des cas) à une atteinte des incisives maxillaires et/ou mandibulaires [2, 3] et, plus rarement, des deuxièmes molaires et des canines [1]. Des défauts similaires observés au niveau des molaires temporaires sont décrits sous le terme Deciduous Molar Hypomineralization (DMH), plus récemment renommés Hypomineralized Second Primary Molars (HSPM) (figure 1).
Les données épidémiologiques disponibles en France ne permettent pas de connaître avec précision la prévalence de la MIH. L’étude de la charge mondiale de la morbidité (Global Burden of Disease) liée à la MIH a estimé à 878 millions le nombre de cas en 2015 [4]. La prévalence mondiale de la MIH est estimée entre 0,5 et 40,2 % en fonction des pays et des études [5, 6]. En Europe, la prévalence a été estimée à 14,3 % selon les données groupées de 30 études publiées entre 1987 et 2016 et s’intéressant à la tranche d’âge 4-17 ans [5]. Aucune différence significative de la prévalence selon le genre n’a pu être mise en évidence [4, 5].
De nombreuses études ont recherché les facteurs associés à la MIH. L’étiologie reste idiopathique mais son aspect multifactoriel est aujourd’hui acté. Une possible prédisposition génétique associée à des perturbations de l’amélogenèse, plus précisément de sa dernière étape, est avancée [6, 7]. Cette étape vise la réabsorption quasi complète des protéines résiduelles de la matrice et la finalisation de la minéralisation de l’émail. De manière générale, la lésion s’étend de la jonction amélo-dentinaire à la surface de la dent et la couleur de l’opacité est fonction du degré de sévérité de l’atteinte amélaire. Le contenu organique de l’émail est ainsi jusqu’à 8 fois plus élevé dans un émail blanc-jaune et jusqu’à 21 fois plus élevé dans un émail brun-marron en comparaison avec un émail sain. La dureté de l’émail hypominéralisé est alors, en moyenne, 80 fois inférieure à celle d’un émail sain. En revanche, l’épaisseur de l’émail est normale [8].
Compte tenu de la chronologie de la minéralisation des dents permanentes, la MIH représente les séquelles d’événements survenus pendant la grossesse ou la petite enfance (avant 4-5 ans). La période la plus sensible semble être la première année de vie. Le tableau 1 présente les principaux événements étudiés au cours des périodes pré, péri et post-natales [9].
L’amélogenèse des molaires temporaires se déroulant entre la 15e semaine de vie in utero et la première année de vie de l’enfant, l’HSPM serait un facteur prédictif d’une MIH [10].
La MIH se traduit cliniquement par des opacités circonscrites aux contours irréguliers et dont la couleur varie selon le degré d’atteinte. Sous l’effet des contraintes masticatoires, un clivage post-éruptif de l’émail hypominéralisé peut conduire à des pertes de substance. La localisation des lésions est variable et souvent asymétrique (pas d’atteinte en miroir).
Le diagnostic repose sur l’observation clinique et l’élimination des diagnostics différentiels (amélogenèse imparfaite, fluorose, hypoplasie de l’émail…). L’atteinte d’une seule molaire suffit à poser le diagnostic. Les restaurations atypiques et les avulsions antérieures doivent être prises en considération dans la démarche diagnostique. Le tableau 2 présente les critères diagnostiques proposés par l’EAPD en 2003 et permet de distinguer trois niveaux de sévérité [3] (figures 2 à 7). Plus récemment, Steffen, et al. (2017) ont élaboré l’indice MIH-Treatment Need Index (TNI) présenté dans le tableau 3, prenant en compte l’étendue de la lésion et l’hypersensibilité associée de manière à standardiser l’approche thérapeutique [11].
Les conséquences cliniques découlent principalement du déficit de protection de l’organe dentino-pulpaire par la barrière amélaire. Dès l’éruption, une sensibilité augmentée au froid, au chaud et au contact peut être présente et entraver le contrôle de plaque. L’immaturité tissulaire associée à une accumulation de plaque dentaire majore la susceptibilité à la maladie carieuse. Une dent atteinte de MIH présente ainsi 10 fois plus de risques de présenter une lésion carieuse dont l’évolution est rapide. L’hypersensibilité et la destruction tissulaire entretiennent un état d’inflammation pulpaire chronique rendant complexe l’obtention du silence opératoire. Si la douleur lors des soins est sous-estimée, la coopération de l’enfant peut être diminuée et la prise en charge complexifiée. Le recours aux anesthésies intra-osseuses ou loco-régionales est conseillé pour limiter les échecs d’anesthésie.
Les échecs de restaurations sont également fréquents en raison du caractère atypique des pertes de substance et des difficultés de collage liées aux particularités histologiques de l’émail hypominéralisé. Enfin, la réfection des restaurations est fréquente et renforce l’anxiété du patient.
La MIH est une pathologie complexe et multifactorielle sur laquelle il reste beaucoup à apprendre. Elle peut être lourde de conséquences pour le patient, tant du point de vue fonctionnel qu’esthétique. Les répercussions psychologiques ne doivent pas non plus être négligées, notamment chez l’enfant qui peut être victime de moqueries lorsque les incisives sont impliquées dans le tableau clinique.
La MIH constitue un nouvel enjeu de santé publique dont les médias parlent fréquemment. Il est essentiel que la profession ainsi que l’ensemble des professionnels de la petite enfance et la population soient informés de cette pathologie pour en permettre le dépistage et la prise en charge précoces.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.