Clinic n° 07 du 01/07/2021

 

Dossier

Nicolas DAVIDO  

Spécialiste en Chirurgie orale. Ancien Interne en Odontologie. Ancien AHU, Paris. Exercice libéral, Paris.

Réussir une greffe autologue, surtout lorsqu’il s’agit de la première, demande une connaissance précise de la technique, de la séquence opératoire et une attention particulière sur la sélection du « patient idéal ». Pour y parvenir, il faut allier les compétences du praticien, le patient et les astuces qui permettront d’obtenir un succès opératoire.

COMPÉTENCES POUR SE LANCER

La greffe autogène est une chirurgie complexe qui nécessite une maîtrise chirurgicale, une bonne connaissance anatomique des maxillaires et de leurs organes nobles (fosses nasales, sinus maxillaire, foramen mentonnier, trajets du nerf alvéolaire inférieur et du nerf infra-orbitaire). Avant de se lancer, il est préférable d’avoir un solide bagage chirurgical et de savoir réaliser en pratique quotidienne :

– des lambeaux larges (afin d’accéder au site receveur) ;

– l’avulsion de dents de sagesse mandibulaires incluses (pour accéder au site donneur).

LE PATIENT

Aspect psychologique

Le choix du « patient idéal » est un élément clé. Il doit être détendu et en confiance.

Lors de la première consultation, vous allez étudier la faisabilité de l’intervention et l’absence de contre-indications mais le patient va vous « tester » aussi. Il faut être préparé à ses questions portant sur le déroulé opératoire et la gestion de la douleur.

Il est important de rassurer le patient et d’expliquer les étapes sans rentrer dans les détails trop techniques qui seraient anxiogènes. Un patient rassuré et confiant permettra au chirurgien d’être plus serein lors de l’intervention.

Contre-indications

• Générales : patient à haut risque d’endocardite infectieuse [1] ; pathologie chronique non contrôlée (diabète [2], immunodépression [3]) ; antécédent de radiothérapie cervico-faciale ; traitement par bisphosphonates IV [2] ou par anticorps monoclonaux (Prolia®, Xgeva® par exemple) pour le traitement de pathologies malignes [4].

• Locales (relatives) : tabac [2], mauvaise hygiène orale et parodontite non traitée et/ou non contrôlée [2].

Le port d’une prothèse amovible, en revanche, constitue une contre-indication absolue. La prothèse entraîne une compression des tissus greffés avec un risque important d’exposition primaire. Nous recommandons d’éviter tout port de prothèse pendant 15 jours ou 1 mois post-opératoire.

À l’issue de cette cicatrisation muqueuse primaire, nous pouvons envisager un bridge collé (cantilever ou traditionnel) ou l’utilisation d’une gouttière thermoformée avec dents du commerce.

Le « bon » cas pour débuter ?

La région idéale pour débuter, concernant l’accès chirurgical, est au niveau du prémaxillaire (figure 1) avec un défaut transversal vestibulaire. Il faut éviter de débuter avec des greffes verticales, hautement difficiles (figure 2), ou dans des zones avec des proximités radiculaires trop importantes. La fermeture du lambeau est souvent aisée dans cette localisation, ce qui n’est pas le cas à la mandibule dans les secteurs antérieurs (sangle musculaire du menton puissante) ou les secteurs latéraux (risque de lésion du nerf alvéolaire inférieur lors de la dissection du périoste).

ANALYSE ET PRESCRIPTION PRÉ-OPÉRATOIRE

Cette étape indispensable permet d’évaluer :

– la demande et la motivation du patient ;

– les antécédents médicaux et chirurgicaux, les allergies médicamenteuses et les traitements médicaux en cours ;

– une intoxication tabagique éventuelle (contre-indication relative) ;

– l’esthétique du sourire (positionnement de la lèvre par rapport à la ligne muco-gingivale) ;

– l’ouverture buccale (pour évaluer la difficulté à accéder au site donneur) ;

– l’hygiène orale (proscrire toute greffe osseuse si celle-ci est insuffisante) ;

– la morphologie du défaut d’un point de vue clinique ;

– l’espace prothétique dans le sens vertical et antéro-postérieur ;

– la perte de substance osseuse et les risques anatomiques par l’étude du cone beam.

À l’imagerie, il est impératif d’évaluer à la fois la zone du site donneur et celle du site receveur.

• Au niveau du site donneur, le cone beam fournit une information sur l’épaisseur de la corticale externe en zone rétro-molaire pour connaître la longueur et la profondeur de coupe nécessaires pour cliver le fragment Cette imagerie nous informe également sur la localisation du nerf alvéolaire inférieur afin d’éviter toute complication nerveuse lors de la découpe.

• Au niveau du site receveur, nous devons évaluer :

– le défaut : longueur, largeur et hauteur pour connaître la quantité d’os à prélever et évaluer s’il s’agit d’un défaut transversal ou vertical (ce dernier est à éviter pour débuter) ;

– la position des racines adjacentes afin d’éviter toute lésion radiculaire lors du forage et de la mise en place des vis d’ostéosynthèse ;

– la position du nerf infra-orbitaire afin d’éviter toute lésion lors de la dissection des tissus mous pour refermer le site opératoire.

Une fois cette analyse réalisée, nous réalisons une prescription pré-opératoire associant :

– antibiothérapie : idéalement, amoxicilline 2 g/jour (sauf si allergie aux pénicillines) pendant une durée de 7 jours [3] ;

– corticothérapie : prednisone ou prednisolone, 1 mg/kg/24 h pendant une durée de 3 à 5 jours ;

– antalgiques de palier 2 en prise systématique pendant 48 à 72 h ;

– bains de bouche à base de chlorhexidine ;

– application de poches de glace pendant 24 heures en post-opératoire.

LE JOUR « J »

La technique opératoire que nous utilisons a été initialement mise au point par Fouad Khoury [2, 5]. Cette technique consiste à prélever un bloc cortico-spongieux en région rétro-molaire qui sera gratté et sectionné en deux lames corticales (voire trois dans certains cas). Celles-ci seront mises à distance du défaut osseux et l’espace créé sera comblé à l’aide d’os particulaire cortico-spongieux (figure 3).

Après une anesthésie loco-régionale et locale avec vasoconstricteurs (1/200 000) par infiltration, les étapes suivantes doivent être respectées.

Site intra-oral de prélèvement du bloc cortico-spongieux

Le site de prélèvement dépend du site osseux à reconstruire. Dans la plupart des cas, nous opterons pour un prélèvement rétro-molaire (figure 4) plus simple à réaliser et avec moins de risque chirurgical qu’un prélèvement mentonnier.

Matériel et méthode de prélèvement du bloc cortico-spongieux

L’incision d’accès au site donneur pourra être soit dans le fond du vestibule, soit intra-sulculaire.

Le site receveur étant à distance du site donneur, il est préférable de réaliser une incision vestibulaire afin d’éviter une récession tissulaire marginale.

Le prélèvement intra-oral est réalisé à l’aide d’un Piezotome (inserts OT12, OT7, OT8R, OT8L – Mectron®) (figure 5, vidéo 1) ou de disques diamantés montés sur contre-angle et/ou pièce à main (Dentsply Microsaw® ou disque Komet® ref. 943CH.204.080).

La taille du prélèvement dépend de la quantité d’os à reconstruire.

Matériel et méthode de prélèvement de l’os particulaire

L’os particulaire est récupéré à l’aide d’un récupérateur d’os (SafeScraper TWIST®) (figure 6). Les sites de prélèvement sont multiples :

– au sein de la cavité de prélèvement du bloc cortico-spongieux. Cette zone est riche en os trabéculaire (spongieux) dont la revascularisation est plus rapide que celle de l’os cortical. Cela permet d’obtenir un os néoformé aux caractéristiques semblables à celles du site receveur ;

– au niveau de la ligne oblique externe : l’os d’origine corticale est peu vascularisé ;

– au niveau tubérositaire : l’os est spongieux ;

– au niveau d’un torus ou d’une excroissance osseuse : l’os est principalement cortical ;

– au niveau de l’intrados du bloc cortico-spongieux : l’os est spongieux.

Le prélèvement se fait par grattage de la zone. L’os est récupéré dans le collecteur puis déposé dans une cupule de sérum physiologique.

Méthode de préparation de la lame corticale

Le bloc cortical débarrassé d’os spongieux est clivé en deux parties (figure 7, vidéo 2) afin d’obtenir deux fines lames de 1-1,5 mm d’épaisseur en moyenne [2, 5] (figure 8).

Le clivage est réalisé en deux temps : le pourtour est d’abord sectionné à l’aide d’un disque diamanté de petit diamètre (Komet® réf. 943CH.204.080) (figure 9a), ce qui permet ensuite de finaliser la découpe à l’aide d’un disque diamanté de plus grande taille (Komet® réf. 6911H.104.220) (figure 9b).

L’avantage de cette section du bloc est l’obtention de deux lames corticales à partir d’un seul fragment osseux.

Choix du matériel d’ostéosynthèse

L’immobilisation du greffon est indispensable. Tout greffon insuffisamment stable risque d’entraîner soit une infection locale, soit une résorption de la lame et de l’os particulaire sous-jacent. Les vis les plus adaptées sont les Microvis Stoma® « carrées femelles » de 1 mm de diamètre qui sont peu taraudantes et non auto-forantes. Elles exercent ainsi peu de contraintes sur la fine lame corticale.

Stabilisation de la lame corticale

La stabilisation se fait par la mise en place d’au moins deux vis par lame corticale (figure 10). La bonne stabilisation du fragment est assurée par le méplat de la vis. Le forage doit être effectué avec un foret de diamètre inférieur au diamètre de la vis afin de bien stabiliser le greffon cortical.

Comblement de la cavité entre le site receveur et la lame corticale

Il se fait par remplissage de la cavité à l’aide d’os particulaire (figure 11). Le comblement de la cavité doit être suffisamment dense pour éviter toute invagination de tissu épithélial, ce qui compromettrait la greffe.

Incision du périoste

Il est impératif que les sutures ne présentent aucune tension sous peine d’exposition de la greffe. Il faut donc réaliser des incisions périostées (attention à ne pas faire d’incisions profondes dans le périoste : risque nerveux au niveau du foramen infra-orbitaire ou du foramen mentonnier ou encore risque de lésion vasculaire) jusqu’à supprimer les tensions du lambeau.

Matériel et méthode de suture

Il existe sur le marché une quantité importante de marques, modèles et tailles de fils de suture (Vicryl®, Ethicon ; Prolene®, Ethicon ; PTFE Sutures, Golnit sutures®…). Afin d’obtenir un résultat au niveau du site receveur présentant le moins de brides cicatricielles possible, notamment en zone esthétique, les fils hydrophobes (comme le PTFE ou le Prolene®) sont à privilégier – car ils ont des petits diamètres (5/0 à 6/0, surtout au niveau des zones de décharges) – et de préférence en monofilaments (figure 12) afin de limiter la quantité de plaque bactérienne et donc une inflammation de la cicatrice.

Le site donneur pourra être suturé avec du polyglactine (Vicryl®, Ethicon).

CONCLUSION

Maintenant que vous avez toutes les clés en main : choix du patient, étude clinique et radiologique approfondie, connaissance des étapes chirurgicales, vous êtes prêt à réaliser avec succès votre première greffe osseuse autogène.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Habib G, Lancellotti P, Antunes MJ, et al. 2015 ESC Guidelines for the management of infective endocarditis: The Task Force for the Management of Infective Endocarditis of the European Society of Cardiology (ESC). Endorsed by European Association for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS), the European Association of Nuclear Medicine (EANM). Eur Heart J 2015;36:3075-3128.
  • 2. Khoury F. Greffe osseuse en implantologie. Paris : Quintessence International, 2010.
  • 3. Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé. Prescription des antibiotiques en pratique bucco-dentaire : recommandations. Paris : AFdSSdPd Santé Édition, 2011:20.
  • 4. Vorrasi JS, Kolokythas A. Controversies in traditional oral and maxillofacial reconstruction. Oral Maxillofac Surg Clin North Am 2017; 29:401-413.
  • 5. Khoury F. Bone cover method of tooth root resection in mandibular molar region. Zahnarztl Mitt 1988;78:1030-1034.

Liens d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.

Vidéo 1 Technique de prélèvement d’un bloc cortico-spongieux en région rétro-molaire. bit.ly/3iLcSb9

Vidéo 2 Technique de clivage du bloc d’os cortical. bit.ly/3iLcSb9

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