Odontologie pédiatrique
LFERDE Merieme* BENKARROUM Fatima Zahra** CHHOUL Hakima***
*Résidente
**Professeur assistant
***Professeur de l'enseignement supérieur
****
*****Université Mohammed V
******Faculté de médecine dentaire
*******Département de pédondontie-prévention
********Rabat
La carie de la petite enfance (CPE) est une forme particulièrement virulente de la maladie carieuse qui se manifeste chez les nourrissons et les enfants d'âge préscolaire. Elle continue d'affecter un grand nombre d'enfants à travers le monde malgré les progrès réalisés en matière de prévention bucco-dentaire. Une meilleure compréhension des facteurs étiologiques de cette maladie permet de cibler les enfants à haut risque de CPE afin d'instaurer le plus précocement possible une...
La carie de la petite enfance (CPE) est une forme particulièrement virulente de la maladie carieuse qui se manifeste chez les nourrissons et les enfants d'âge préscolaire. Elle continue d'affecter un grand nombre d'enfants à travers le monde malgré les progrès réalisés en matière de prévention bucco-dentaire. Une meilleure compréhension des facteurs étiologiques de cette maladie permet de cibler les enfants à haut risque de CPE afin d'instaurer le plus précocement possible une stratégie préventive permettant de contrôler le processus carieux. Ce travail a pour objectif de rappeler les différents facteurs étiologiques de la CPE et, par conséquent, la stratégie préventive à instaurer.
La carie de la petite enfance (CPE) est une forme particulièrement virulente de la maladie carieuse qui se manifeste chez les nourrissons et les enfants d'âge préscolaire. Elle est définie par la présence d'une ou de plusieurs dents temporaires cariées, absentes (pour cause de carie) ou obturées chez un enfant de moins de 71 mois [1].
La forme sévère de la carie de la petite enfance (CPE-S) objective, chez les enfants de moins de 3 ans, une carie sur une surface lisse et, chez les enfants entre 3 et 5 ans, une ou plusieurs dents antérieures maxillaires cariées, absentes ou obturées, ceci avec des indices CAO qui peuvent fluctuer entre 4 et 6 [2]. Cette maladie se développe rapidement en suivant la séquence d'éruption des dents et passe par différents stades (fig. 1 à 4).
Sa prise en charge constitue un véritable défi en odontologie pédiatrique du fait de la progression rapide de la maladie, du bas âge des patients rendant leur coopération aléatoire et, enfin, de ses répercussions sur la cavité buccale et la santé générale de l'enfant. Il est donc primordial de limiter l'impact de cette maladie en intervenant sur les facteurs étiologiques par le biais de mesures préventives codifiées.
Le but de notre travail est de rappeler les différentes étiologies de la CPE puis de décrire la stratégie préventive à adopter.
La carie précoce du jeune enfant était autrefois appelée syndrome du biberon, carie du biberon, etc. puisqu'elle était surtout observée lors de prises répétées de biberons sucrés ou contenant du lait. Cependant, il est important de ne pas restreindre cette maladie à cette cause unique : la CPE est d'étiologie multifactorielle. Fisher-Owens et al. ont proposé un modèle étiopathogénique complet [3]. Il comprend un large éventail de facteurs de risque contributifs qui viennent compléter la triade de Keyes [4] (fig. 5).
La prévention de la CPE est fondée sur le contrôle précoce des multiples facteurs étiologiques de celle-ci. Pour atteindre cet objectif, de nombreuses stratégies ont été proposées [5] (fig. 6). Traiter le problème à la source, bien avant sa manifestation, nécessite un engagement durable de l'enfant mais aussi des parents.
La stratégie de prévention doit être instaurée avant même la naissance de l'enfant. Elle cible la composante infectieuse de cette maladie en prévenant ou en retardant l'acquisition de bactéries cariogènes transmises par la mère à son enfant à un âge précoce. La suppression des foyers infectieux dentaires maternels passe par une motivation à l'hygiène bucco-dentaire puis par un examen bucco-dentaire complet suivi d'un traitement de prophylaxie ou de soin dentaire [6].
La consommation de xylitol par la mère serait une option qui aurait un impact direct sur la charge bactérienne. Les résultats de l'essai clinique mené par Solderling et al. sur une durée de 6 ans montrent que, lorsque les mères ont mâché des gommes contenant du xylitol durant les deux premières années de vie de leurs enfants, ces derniers présentent une réduction significative de l'incidence carieuse 5 ans plus tard [7].
Le premier volet de la prévention primaire repose sur la mise en place d'une hygiène orale précoce qui peut débuter avant même l'éruption des dents temporaires par le nettoyage de la cavité buccale avec une compresse humide, et ceci après chaque biberon. Cette mesure permet de familiariser le nourrisson dès son plus jeune âge à l'hygiène de sa cavité buccale. Celle-ci devient obligatoire dès l'éruption de la première dent temporaire [2]. Comme le niveau de compréhension et de dextérité des enfants à cet âge ne permet pas d'utiliser correctement une brosse à dents, le nettoyage des surfaces lisses peut être poursuivi à l'aide d'une compresse par les parents. Cependant, dès l'éruption de la première molaire, la brosse à dents devient l'outil indispensable pour le nettoyage des sillons. Les parents doivent veiller à effectuer un brossage biquotidien pour leurs enfants en utilisant une brosse à dents souple et de taille adaptée à leur âge [2, 8] (tableau 1).
Bien qu'il existe plusieurs techniques de brossage connues, la technique choisie sera celle que l'enfant adoptera spontanément pour permettre l'acquisition du réflexe du brossage. Il s'agit généralement de la technique du brossage horizontal car elle est la plus simple [9].
Le deuxième volet de la prévention primaire s'intéresse à l'éducation alimentaire. Ce sont essentiellement les glucides fermentescibles qui jouent un rôle majeur dans le développement de la CPE. Au-delà de la quantité de sucres ingérée, c'est bien la fréquence des apports qui augmente les risques. Plus les ingestions sont répétées, plus la production d'acide est fréquente et prolongée. Le pouvoir tampon de la salive est alors dépassé et l'homéostasie déminéralisation/reminéralisation est rompue.
De la naissance à 6 mois, les apports alimentaires proviennent exclusivement du lait maternel ou maternisé. Après cela, l'alimentation va être diversifiée et les parents devront être conscients de l'importance de limiter la fréquence des collations et boissons contenant du sucre.
Une revue systématique récente rapporte que l'allaitement au sein pendant les douze premiers mois protège de la CPE [10]. Toutefois, bien que l'allaitement au sein soit préconisé, d'autres études suggèrent que l'allaitement ad libitum associant la technique co-sleeping au-delà de 12 mois puisse être associé à une augmentation du risque de CPE [10, 12]. En effet, malgré la faible cariogénicité intrinsèque du lait, ses effets sont susceptibles d'être fortement modulés par des comportements à risque tels que la durée, la fréquence, le moment, le mode d'administration, mais également par l'introduction de glucides fermentescibles dans l'alimentation [2].
Le troisième volet comprend l'instauration d'une première consultation dentaire dès les six premiers mois du nourrisson et au plus tard à l'âge de 12 mois. Cette première consultation compte beaucoup pour la mise en confiance dans la triade médecin-dentiste, enfant et parents. Elle permet d'évaluer le risque carieux individuel de l'enfant afin d'identifier précocement les lésions carieuses [2]. Et de faire passer les messages de prévention aux parents.
La prévention secondaire passe par la reminéralisation des lésions initiales avec des topiques fluorés par des thérapeutiques professionnelles chez des enfants à risque carieux élevé. Le vernis fluoré représente le seul topique à usage professionnel qui peut être appliqué à ces enfants à risque de moins de 6 ans en raison de son faible risque d'ingestion. Il s'agit d'un concentré de fluorures dans une base résineuse ou synthétique [13]. Sa périodicité d'application dépend du risque carieux individuel et varie de tous les 3 à 6 mois. Si une lésion initiale est présente dans un sillon, il est recommandé d'appliquer un vernis à base de fluorure de sodium à 5 % de NaF, l'équivalent de 22 600 parties par million (ppm) d'ions fluorure [2]. Quant à la supplémentation systémique en fluor par voie orale, elle est de plus en plus abandonnée.
À côté de ces agents fluorés, le scellement des sillons avec une résine composite permet de modifier l'anatomie anfractueuse de la dent pour prévenir la survenue de carie (fig. 7 à 10). Son efficacité persiste dans le temps et dépend du taux de rétention complète du matériel.
L'application topique d'agents antimicrobiens est également proposée pour la prévention de la CPE. Les agents les plus fréquemment utilisés sont la chlorhexidine (CHX) et le xylitol [14] (tableau 2). Une revue systématique et méta-analyse récente rapporte que ces derniers permettent une réduction de la charge bactérienne cariogène [15] mais que ces résultats restent temporaires et s'arrêtent dès l'arrêt de l'utilisation du produit [16].
Face à cette panoplie de méthodes de prévention, les données scientifiques de la littérature ont permis d'établir certaines recommandations de prévention de la CPE qui ont démontré leur efficacité dans l'amélioration de la santé bucco-dentaire du petit enfant (tableau 3).
En l'absence de ces méthodes de prévention, des lésions carieuses initiales de l'émail peuvent s'installer. Des thérapeutiques de reminéralisation fluorée (vernis) permettent d'assurer la réversibilité des lésions non cavitaires initiales et, ainsi, d'arrêter la progression de la maladie carieuse. Des agents reminéralisants non fluorés tels que les phosphates de calcium amorphes stabilisés par les protéines de caséine (CPP-ACP) représentent une méthode adjuvante qui potentialise les effets du fluor [23]. Ils ont pour effet d'augmenter la disponibilité du calcium et du phosphate [24].
Sans traitement, ces lésions initiales deviennent cavitaires. Leur prise en charge bucco-dentaire à l'état vigil est complexe et difficile en raison du manque de coopération des enfants atteints. De ce fait, et lorsque les techniques comportementales échouent, le traitement de la CPE fait appel à des modalités spécifiques telles que la sédation consciente ou l'anesthésie générale (fig. 11 et 12). Plusieurs études ont toutefois montré que le taux de récidives après les soins sous anesthésie générale est élevé, ce qui souligne l'intérêt du renforcement des thérapies préventives après l'intervention [25].
La CPE est une maladie complexe lourde de conséquences pour l'enfant, ses parents et la société. Lorsque les conditions sont favorables pour l'application de stratégies préventives, la CPE est évitable.
La place des fluores dans cette prévention est une donnée acquise. Ainsi, quel que soit le risque carieux, les piliers de la prévention des lésions carieuses sont d'abord le contrôle de la fréquence des apports sucrés et un brossage correctement réalisé avec un dentifrice fluoré. Quand le risque carieux est élevé, des thérapeutiques complémentaires de renforcement doivent être adjointes.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.