Dermatologie buccale
Une patiente de 23 ans consulte pour des douleurs linguales isolées modérées, présentes depuis plusieurs semaines (EVA : 70 mm). Cela commence à l'inquiéter (fig. 1).
Elle ne présente aucun antécédent médico-chirurgical et ne prend pas de traitement médicamenteux.
L'examen exobuccal est sans particularité, notamment sur le plan dermatologique. En...
Une patiente de 23 ans consulte pour des douleurs linguales isolées modérées, présentes depuis plusieurs semaines (EVA : 70 mm). Cela commence à l'inquiéter (fig. 1).
Elle ne présente aucun antécédent médico-chirurgical et ne prend pas de traitement médicamenteux.
L'examen exobuccal est sans particularité, notamment sur le plan dermatologique. En endobuccal, l'hygiène est perfectible avec la présence de plaque et de tartre. On observe une gingivite généralisée, avec une gencive œdématiée, érythémateuse et hémorragique. La face dorsale de la langue présente des plages irrégulières d'aspect dépapillé, exfolié, entourées d'un halo blanchâtre, ainsi que des pseudo-fissures (fig. 1). Enfin, l'examen dentaire et la panoramique réalisés ne révèlent aucune anomalie notable.
Face à cet aspect lingual caractéristique, le diagnostic de langue géographique (ou glossite exfoliatrice marginée) est retenu en première intention. La poussée observée a probablement été favorisée par la gingivite généralisée et l'anxiété de la patiente. La langue géographique est associée à une autre variation physiologique qu'est la langue plicaturée (ou scrotale).
Le principal diagnostic différentiel à évoquer est rare : il s'agit de la syphilis secondaire, lorsqu'elle se présente sous la forme de plages en « prairie fauchée » linguales. La patiente ne présente pas de signes généraux (céphalées, asthénie, pâleur...), ni de polyadénopathies, ce qui permet d'éliminer d'emblée ce diagnostic. À noter que, dans la syphilis, les lésions linguales ne migrent pas, contrairement au cas de la langue géographique, dont l'aspect se modifie d'un jour sur l'autre.
Chez cette patiente symptomatique, les facteurs favorisant le déclenchement des poussées sont éliminés. Une motivation à l'hygiène, un détartrage et une prescription de bains de bouche à base de chlorhexidine à 0,12 % durant une semaine, ainsi qu'au bicarbonate de soude à 14 % durant 3 semaines, sont réalisés. La patiente est rassurée sur le caractère bénin de la langue géographique. Il lui est aussi préconisé d'éviter les aliments pourvoyeurs de douleurs, tels que les aliments acides ou épicés.
La patiente est revue un mois après la première consultation. Elle n'est plus en phase de poussée. Elle est asymptomatique et les lésions linguales ont nettement régressé mais l'aspect plicaturé persiste (fig. 2). Elle rapporte par ailleurs un aspect migratoire des lésions dans les jours suivants la première consultation, confirmant a posteriori le diagnostic de langue géographique. Elle est à nouveau informée du caractère bénin récidivant, par poussées, de cette affection.
La langue géographique est fréquente et bénigne. Elle correspond à une variation physiologique. Elle peut être associée à d'autres maladies dermatologiques inflammatoires, comme l'eczéma atopique ou le psoriasis, qu'il faut rechercher lors de l'entretien avec le patient. Cette association n'est pas présente ici.
L'étiologie de cette pathologie reste inconnue, même si une transmission sur le mode autosomique dominant est évoquée. Il ne s'agit pas d'une pathologie infectieuse et n'est donc ni contagieuse ni traitable par des antibiotiques, des antifongiques ou des antiviraux. Il ne s'agit pas non plus d'une pathologie tumorale et aucun risque de dégénérescence maligne n'est à craindre.
Le diagnostic de langue géographique est clinique. Aucun examen complémentaire n'est à réaliser. Dans la très grande majorité des cas, la langue géographique est asymptomatique, la découverte est fortuite et peut se faire à tous les âges de la vie. Plus de la moitié des patients ignorent l'existence de leur affection. L'aspect du dos de la langue est pourtant caractéristique et ressemble à une carte géographique à cause des plages d'aspect dépapillé, délimitées par une bordure blanchâtre. Son aspect varie de jour en jour, lui conférant un caractère migratoire qui est pathognomonique. La biopsie est inutile, mais elle montrerait une acanthose avec papillomatose d'aspect psoriasiforme de l'épithélium, un infiltrat inflammatoire chronique et un capillaire vertical dilaté dans l'axe de chaque papille. Dans près d'un cas sur deux, une langue plicaturée est associée, comme c'est le cas ici.
La langue géographique apparaît dès la petite enfance et évolue par poussées, possiblement sur des années. Les émotions, le stress et les infections de voisinage (gingivo-dentaires, pharyngées) semblent favoriser le déclenchement des poussées. Entre ces épisodes, la langue retrouve son aspect normal ou plicaturé.
Dans la majorité des cas de langue géographique, une abstention thérapeutique est préconisée du fait de poussées asymptomatiques et résolutives spontanément. Il semblerait que la correction des facteurs favorisants permettrait de prévenir le développement des poussées. En cas de poussées algiques, il est conseillé d'éliminer les aliments acides ou épicés, et un traitement symptomatique peut être proposé (anesthésiants locaux, sucralfate, bains de bouche).
La langue géographique est une variation physiologique correspondant à une glossite exfoliée en aires avec un caractère migratoire. Le diagnostic est toujours clinique et une prise en charge symptomatique peut être proposée pour les rares formes algiques.