Exercer avec l'IA
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Le Comident réunissait le 20 juin dernier des industriels et des chercheurs pour tenter de tracer les pistes de ce que sera le métier de demain.
L'IA investit rapidement la santé. Les systèmes de reconnaissance faciale, qui permettent d'analyser les émotions d'un individu, trouvent des applications dans le domaine médical. On peut ainsi diagnostiquer des pathologies psychiatriques et notamment un syndrome dépressif chez un individu avant même qu'il en soit conscient. La reconnaissance vocale utilisée pour des traductions instantanées trouve aussi des applications médicales. Elle permet de détecter à la voix au téléphone si une personne souffrant de douleur thoracique est en train (ou non) de faire un infarctus. L'IA permet aussi d'analyser automatiquement un électrocardiogramme, de diagnostiquer une rétinopathie diabétique, des cancers de la peau...
L'IA « change profondément la sémiologie des pathologies et du diagnostic. Il y a un vrai potentiel transformant des pratiques, prévient Antoine Tesnière, professeur d'anesthésie-réanimation à l'AP-HP et directeur d'iLumens. Elle va permettre de fiabiliser, de renforcer et d'accélérer l'analyse des données et le diagnostic. Mais il restera une partie importante d'analyse humaine », estime le chercheur. L'IA bouleverse aussi les méthodes de recherche et d'enseignement. La création de « jumeaux virtuels » mis dans des situations elles aussi virtuelles, permet d'effectuer des simulations et d'en analyser les effets. Tout se passe comme dans la vraie vie, sauf que des vies ne sont pas mises en jeu ! En chirurgie, l'IA accompagne le geste du praticien. Arrivent aussi des ordinateurs qui pourront opérer les patients. Et puis l'IA va permettre d'accompagner le patient dans toutes les stratégies de prévention.
Jusqu'où ira l'IA ? Aujourd'hui, les algorithmes ont des limites. Ils « reproduisent une tâche mais n'ont pas encore la capacité de raisonner sur de la variabilité trop importante, sur des questions qui sont assorties les unes aux autres et encore moins d'être autonomes », note Antoine Tesnière. Quarante ans : c'est le délai qu'il donne pour que la complexité du développement de réseaux de neurone permette éventuellement de reproduire certains phénomènes d'autonomie de la pensée humaine !
Pour l'heure, les soignants doivent s'intéresser aux progrès permis par l'IA. Il ne faudrait pas laisser les ingénieurs et les mathématiciens « dicter comment cela doit être implémenté dans ce que l'on fait tous les jours », prévient Antoine Tesnière. Car l'un des enjeux majeurs de ces nouveaux outils est la place de « l'humain » dans les relations avec les patients. De fait, « quels vont être les éléments qui resteront à l'humain et les éléments qui vont rester à l'IA », interroge le médecin ? Xavier Briffault, sociologue, chargé de recherche au CNRS, estime que l'IA sera justement un moyen de dégager du temps et de la compétence pour la relation humaine. « J'ai tendance à penser que les nouveaux outils vont nous permettre de monter en expertise, en capacité de mobilisation des facultés proprement humaines telles que la créativité, l'inventivité, la relation, l'empathie. »
Autre question majeure, les objets connectés ne vont-ils pas aussi transformer la relation patient/praticien, et en particulier l'obligation de moyens en obligation de résultats ? En l'état actuel du droit, c'est impossible, explique Marie Bastian, doctorante ATER en droit public à Paris-Nanterre. « Le médecin reste seul à même de poser le diagnostic. Ce ne sera pas la machine. Les outils ne sont que des outils d'aide. En ce sens, la verticalité de la relation est tout de même encore préservée. »
Dans les cabinets dentaires, la digitalisation, la numérisation mais aussi la miniaturisation vont se poursuivre et permettre de nombreuses avancées dans les années qui viennent, prévoit Agathe Arlotti, chef de projet senior innovation santé chez Medicen, en donnant comme exemple un projet collaboratif de développement d'une sonde intra-orale pour le diagnostic précoce de la maladie parodontale. Ce projet mené par Carestream Dental, a récemment levé un financement de 7 millions d'euros !
Cependant, les innovations « qui se préparent dans les labos de recherche modifient les pratiques mais ne les remplacent pas », assure Agathe Arlotti. Le praticien sera à l'avenir focalisé sur les actes à réaliser, pense Thomas Pélissard, managing director de Dental Monitoring, qui propose des outils de surveillance à distance de la cavité buccale. Pour cet ingénieur, toute la surveillance du traitement pourra en effet être traitée à distance : le patient sera « drivé » sur le respect des consignes et « rassuré » sur sa façon de les suivre.
Parmi les innovations, Martine Bonnaure-Mallet met l'accent sur l'apport des diagnostics biologiques. Ils apporteront un plus grand confort aux praticiens au fauteuil, en leur permettant notamment de connaître le stade de développement de la maladie parodontale et la conduite thérapeutique à tenir. Les traitements seront aussi beaucoup plus précis, parce que l'antibiothérapie sera vraisemblablement « moins probabiliste », anticipe la présidente de l'Ifro. Des évolutions nombreuses en perspective mais, pour cette chercheuse, « l'exercice restera et nos patients seront toujours aussi stressés » !