Clinic n° 09 du 01/09/2019

 

RETRAITES

Actu

Anne-Chantal de DIVONNE  

Le haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, devait remettre le 18 juillet un rapport pour servir de base au projet de loi sur les retraites attendu en décembre. Inquiète des mesures en préparation, la CARCDSF s'est associée à 5 autres caisses de retraite de libéraux au sein de Pro' Action Retraite*, pour promouvoir un scénario alternatif. Frank Lefèvre, président de la CARCDSF, est bien décidé à faire valoir les spécificités de l'exercice libéral avec Pro' Action Retraite.

Pourquoi avez-vous créé Pro' Action Retraite avec d'autres caisses ?

On nous avait dit que nous allions co-construire le nouveau système de retraite. Mais, au fur et à mesure des rencontres depuis septembre 2017 avec le haut-commissaire pour la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, nous nous sommes aperçus qu'en réalité, il n'y avait aucune concertation. Et, en décembre dernier, on nous a annoncé que l'assiette serait à 3 plafonds, soit à 120 000 euros. Les calculs effectués pour analyser le bénéfice éventuel pour la profession de ce régime universel ont montré que nous cotiserions presque autant pour recevoir beaucoup moins, et que nos réserves, faites au prix d'efforts importants pour passer un cap défavorable, seraient confisquées.

Quand nous avons exprimé notre désaccord, du jour au lendemain nous n'avons plus fait partie des interlocuteurs. Nous nous sommes donc rapprochés d'autres caisses qui partageaient les mêmes inquiétudes et avons décidé de communiquer autrement et de proposer un scénario alternatif plus équilibré.

Quelle est la position de la CARCDSF ?

Nous ne sommes pas opposés à une réforme, ni au régime universel. Mais un régime universel ne veut pas dire un régime unique. On est prêt à entrer demain dans un régime universel à condition qu'il soit raisonnable en termes d'assiette et de plafond pour nous permettre de conserver des régimes complémentaires autonomes et une part raisonnable des réserves.

Les grandes lignes de la réforme posées au départ nous convenaient : donner les mêmes droits pour un euro cotisé, simplifier les parcours compliqués, harmoniser les régimes, clarifier les financements et notamment la solidarité. Nous sommes déjà dans un régime au point. Nous travaillons tous les jours à l'harmonisation entre les régimes à travers le RGCU (Répertoire de gestion des carrières uniques). C'est un registre général unifié qui va permettre à n'importe quelle caisse, quel que soit le parcours des personnes, de liquider l'ensemble des retraites à partir de la dernière caisse à laquelle il cotise. D'ici deux ans, ce système sera en place indépendamment de la réforme des retraites.

Que proposez-vous avec Pro' Action Retraite ?

Nous proposons un scénario alternatif assis sur trois piliers, comme le préconise la Banque mondiale pour les pays développés :

– un premier pilier universel, avec une assiette aux alentours de 35 000 à 50 000 euros de revenus qui regroupe la plupart des salariés ;

– un deuxième pilier obligatoire avec des régimes soit professionnels, soit interprofessionnels, soit de branche, qui pourraient se créer en autonomie ;

– un troisième pilier par capitalisation dans lequel l'État n'interviendrait pas.

C'est ce qui est préconisé partout et qui marche. Avec ces propositions, notre objectif est d'influencer le cercle du président de la République, qui tranchera.

* L'association Pro' Action Retraite regroupe 7 caisses de retraite : sages-femmes, chirurgiens-dentistes, vétérinaires, experts comptables, pharmaciens, notaires et personnel naviguant.

Quelques réflexions...

Un colloque organisé le 20 juin par Pro' Action Retraite au palais Brongniart a mis en lumière les enjeux de plusieurs aspects de la réforme.

Les grandes lignes de la réforme que doit proposer Jean-Paul Delevoye étaient connues. L'idée centrale est la mise en place d'un système universel qui doit remplacer les 42 régimes de retraite actuels. Dans le futur système « public et par répartition », 1 euro cotisé donnerait les mêmes droits à tous. L'assiette de cotisation à 120 000 euros, soit 3 plafonds de sécurité sociale, permettrait d'inclure la quasi-totalité des revenus à un taux de 28 %. Pour les indépendants, il est envisagé de mettre en place un système mixte avec un taux à 28 % jusqu'à un plafond de sécurité sociale, puis de 14 % au-delà... Cette réforme n'est pas censée toucher à l'âge légal de départ en retraite. Mais il pourrait être proposé un « âge équilibre », fixé à 64 ans, qui, avec un système de bonus-malus, encouragerait à travailler davantage.

C'est « une réforme mal engagée », a lancé Béatrice Créneau-Jabaud, présidente de l'association Pro' Action Retraite et présidente de la caisse des notaires, en regrettant que la « spécificité professionnelle des libéraux et des indépendants » ne soit pas reconnue, et en ayant le sentiment d'une « volonté de passer en force » sur ce sujet.

Donnant son point de vue, Xavier Bertrand, ancien ministre du Travail, a affirmé qu'une réforme qui prétend « dégager l'horizon pour plusieurs années » impose de faire bouger les curseurs. Et, en la matière, « soit on touche moins, soit on travaille plus longtemps », note le président du conseil général des Hauts-de-France, qui penche pour la seconde solution et est persuadé que les Français sont prêts, malgré ce que peuvent en dire les sondages. Il s'est dit par ailleurs favorable à un système à points, à condition que celui-ci soit « piloté de façon indépendante et en dehors du système politique ». Car si l'État avait la maîtrise de la valeur du point, la tentation serait grande de l'utiliser « pour compenser ou arbitrer »... Cette question de la gouvernance interpelle aussi le sénateur de la Marne, René-Paul Savary (LR). Quel intérêt y a-t-il à évincer les partenaires sociaux dont l'histoire a montré qu'ils « ont su prendre leurs responsabilités » dans cette gouvernance, interroge le sénateur ? Il attire aussi l'attention sur le fait que la France est le seul pays à mettre « tous ses œufs dans le même panier de la retraite par répartition ». Alors que la capitalisation peut aussi avoir des vertus, comme celle de « soutenir l'économie ».