Brandissant la suppression du reste à charge et résumant ainsi les soins dentaires au « tout prothétique », les candidats à l’élection présidentielle démontrent, une nouvelle fois, une profonde méconnaissance des enjeux de la santé bucco-dentaire et de son financement.
Jamais le thème de la santé, en tout cas dans cette dimension, n’aura été aussi présent au cœur d’une campagne électorale.
Le malaise social des professionnels de santé, tant du secteur public que privé, ainsi que les inquiétudes des citoyens sur l’avenir de leur système de santé, révélées par de récents sondages, ont contribué à propulser ce thème en tête de liste des programmes électoraux.
Sur l’ensemble de l’échiquier politique, les candidats partagent aujourd’hui un diagnostic sur le déclin de notre système de santé ciblant non pas sa qualité mais son inadaptation aux évolutions techniques et, par conséquent, son financement.
L’abaissement du reste à charge est ainsi devenu un enjeu électoral. Invités à s’exprimer à la Mutualité française le 21 février dernier, lors du débat « Place de la santé », trois des cinq candidats présents, François Fillon, Emmanuel Macron et Nicolas Dupont-Aignan*, se sont engagés à supprimer le reste à charge pour les soins dentaires.
Six semaines auparavant, l’idée avait été lancée par Emmanuel Macron. François Fillon l’a reprise à son compte dans la deuxième édition, revue et corrigée, de son programme santé.
Il est vrai que le thème est porteur, pour ne pas dire accrocheur, auprès des citoyens. Et pour cause. Ils s’acquittent chaque année d’un reste à charge de 4,4 milliards d’euros dont 2,4 milliards pour les soins dentaires. Il n’en reste pas moins que cette proposition relève davantage du slogan politique que d’une réforme en profondeur du système de soins.
« De la pure démagogie », n’ont pas tardé à déclarer, en substance, les syndicats de chirurgiens-dentistes. Se disant avoir été « méprisés » pendant 5 ans par Marisol Touraine, ministre de la Santé, ils voient certes dans la campagne électorale l’occasion de faire entendre les revendications de la profession. Certaines représentations de la profession ont d’ailleurs été consultées par les équipes de François Fillon.
Cependant, résumer le dossier des soins bucco-dentaires à la seule suppression du reste à charge des prothèses révèle une totale méconnaissance du système. « Nous demandons aux candidats de ne pas tomber dans des raccourcis démagogiques mais de faire des propositions globales, intelligentes et réalistes. C’est à cela qu’ils seront jugés », déclare Catherine Mojaïsky, présidente de la Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD), déplorant « une approche restrictive de la santé bucco-dentaire ». « Il ne sert à rien de rembourser les prothèses à 100 % s’il n’y a pas d’incitation aux soins précoces », poursuit-elle.
À l’unanimité, les syndicats dentaires regrettent que les programmes électoraux se résument à évoquer le reste à charge prothétique comme seul remède à tous les maux du système de soins dentaires. Quid du dépistage, de l’éducation thérapeutique, des soins précoces ou même de l’orthodontie ?
La prévention, inscrite au programme santé des candidats, est restée lettre morte dans le volet dentaire. Tout juste effleurée par Emmanuel Macron qui voit, dans une meilleure prise en charge des « petits actes », le moyen de réduire à terme la facture des soins les plus lourds.
« Il n’est aucunement fait mention de la parodontie alors que celle-ci n’est toujours pas prise en charge », souligne Philippe Denoyelle, président de l’Union dentaire. Pour Patrick Solera, président de la Fédération des syndicats dentaires libéraux (FSDL), les candidats prennent le problème à l’envers. « Agissons en faveur des soins de qualité et alors nous assisterons à une diminution du volume des prothèses » déclare-t-il, dénonçant le retard pris par la France face à d’autres pays européens dans la prévention, le dépistage et l’innovation. Il met par ailleurs les politiques en garde contre une diminution du prix des actes, « un facteur qui engendre une multiplication des actes comme l’exemple des kinésithérapeutes nous l’a démontré ».
Face aux intentions des présidentiables, nombre d’incertitudes persistent, pesant sur la profession et notamment sur les étudiants qui ont manifesté le 21 février devant le palais Brongniart à Paris et dans les principales villes de France. En brandissant une prise en charge à 100 % des prothèses dentaires, les candidats font preuve d’un flou le plus complet, sinon d’une méconnaissance du mécanisme du financement du volet bucco-dentaire. « Le 100 % de quoi ? D’un tarif de base dérisoire, non revalorisé, sur des techniques d’il y a 35 ans ? » s’étonne Philippe Denoyelle.
De manière plus générale, ce 100 % prothétique interroge l’avenir des cabinets dont l’économie est déjà mise à mal. Les candidats ne doivent pas oublier que « les politiques ont choisi, il y a 40 ans, la prothèse et l’orthodontie comme variables d’ajustement des évolutions techniques, des coûts et des charges des cabinets dentaires », rappelle Catherine Mojaïsky, pointant « ces 20 % d’actes bucco-dentaires non remboursés qui financent l’ensemble du secteur ».
Alors que Nicolas Dupont-Aignan a déclaré vouloir donner de « l’oxygène à la Sécurité sociale par une hausse de l’ONDAM de 2,5 % par an », Emmanuel Macron et François Fillon se sont abstenus de préciser s’ils parvenaient à ce 100 % prothétique par une hausse du remboursement ou par un plafonnement des tarifs. « Il va falloir expliquer cela aux citoyens qui, déjà aujourd’hui, ne comprennent pas la complexité du financement des soins bucco-dentaires », déclare Philippe Denoyelle.
La profession met en garde les candidats et réitère son rejet d’un plafonnement de la prothèse imposé sur des techniques obsolètes et qui ne permettra pas de mettre en place de nouvelles technologies. Pas question pour Patrick Solera d’envisager une baisse de la rémunération des praticiens. Aussi s’interroge-t-il sur les pistes de financement poursuivies par les candidats : « C’est très bien de promettre une prise en charge à 100 %, mais où vont-ils chercher cet argent alors que le remboursement actuel équivaut à un cinquième du prix pratiqué ? » Sauf à niveler la qualité des prothèses par le bas. À pratiquer du low cost. « Emmanuel Macron veut-il faire avec la prothèse ce qu’il a fait avec les bus ? » lance Philippe Denoyelle.
Dans la même vision libérale, Emmanuel Macron a en effet émis l’idée d’une mise en concurrence des assurances complémentaires via trois contrats types et d’une responsabilisation des différents acteurs de la chaîne (maîtrise des coûts de production, marges réduites, efforts de transparence…) pour infléchir le reste à charge. Une idée qui n’enthousiasme qu’à moitié les étudiants. « Sur la partie mutuelle, nous pensons que cela permettra d’avoir une meilleure visibilité. En revanche, la mise en concurrence des chirurgiens-dentistes nous crispe. Si c’est pour rendre les devis encore plus transparents qu’ils ne le sont actuellement, par exemple en donnant la provenance de la couronne, on peut en discuter… Mais si cela va plus loin, nous ne sommes pas d’accord car la santé n’est pas un commerce », déclare Jérémy Glomet, président de l’Union nationale des étudiants en chirurgie dentaire (UNECD).
Alors que Benoît Hamon, candidat du PS, compte renforcer l’assurance maladie obligatoire, « la plus efficace, la plus solidaire, celle qui coûte le moins », pour augmenter le niveau des remboursements des soins dentaires, ses concurrents présents à la tribune de la Mutualité, envisagent un recours accru aux assurances complémentaires pour redimensionner la couverture des soins dentaires. Mais cette mainmise progressive des complémentaires, suggérée par l’équation petit risque/grand risque de François Fillon, réveille le spectre sous-jacent des réseaux de soins. En tout cas chez les étudiants. « Nous craignons alors que le dentaire ne soit plus pris en charge par la Sécurité sociale mais seulement par les mutuelles. Nous ne le voulons pas car nous sommes défavorables aux réseaux de soins », déclare Jérémy Glomet.
La FSDL est moins pessimiste. Elle retient l’idée de l’organisme régulateur de François Fillon qui lèverait l’opacité sur les assurances complémentaires et leurs fameux frais de gestion. Patrick Solera voit dans ce contrôle de l’usage des cotisations une nouvelle source de financement des soins bucco-dentaires.
Ces différentes pistes de réflexion n’exonèrent pas pour autant les candidats et le futur locataire de l’Élysée de revoir leur copie sur la revalorisation des actes dont il faudrait aujourd’hui tripler les tarifs pour rendre un plateau technique moyen rentable.
À droite comme à gauche, à quelques semaines des élections, le compte n’y est toujours pas.
* Ce candidat veut par ailleurs coupler la disparition du reste à charge à une augmentation de la base de remboursement des couronnes dentaires de 107,50 € à 160 €.