Clinic n° 09 du 01/10/2014

 

Prothèse

Estelle BRAY*   Bernard GIUMELLI**  


*Interne en médecine bucco-dentaire
estelle.bray@bbox.fr Service d’odontologie restauratrice et chirurgicale
Unité fonctionnelle de prothèse maxillo-faciale
CHU de Nantes
1 place Alexis-Ricordeau
BP 84215
44042 Nantes cedex 1
**PU-PH
Service d’odontologie restauratrice et chirurgicale
Unité fonctionnelle de prothèse maxillo-faciale
CHU de Nantes
1 place Alexis-Ricordeau
BP 84215
44042 Nantes cedex 1

Les pertes de substances de la sphère orofaciale engendrent des conséquences fonctionnelles, esthétiques et psychologiques graves. La prothèse maxillo-faciale est un moyen de traitement pour restaurer les pertes de substances non seulement dentaires mais aussi osseuses et muqueuses orofaciales. La prothèse maxillo-faciale couvre plusieurs champs d’activité tels que les reconstructions prothétiques à la suite d’une tumeur maligne ou d’un traumatisme balistique. Néanmoins, la chirurgie correctrice ne permet pas de rétablir ad integrum les structures anatomiques, entraînant ainsi une instabilité de la restauration prothétique. L’avènement et la fiabilisation de l’implantologie orale permettent d’envisager de nouvelles approches thérapeutiques restauratrices bucco-dentaires chez ces patients atteints d’une perte de substances de la sphère orofaciale.

L’augmentation importante des comportements à risque, tels que la consommation excessive et associée d’alcool et de tabac ou la violence routière, et les malformations d’origine génétique engendrent de nombreux traumatismes au niveau facial et, en particulier, de la cavité buccale.

Quelle que soit l’étiologie de ces mutilations, congénitale ou acquise, elles entraînent une destruction du massif facial qui, en l’absence de reconstruction, aura des conséquences fonctionnelles, esthétiques et psychologiques graves.

La prothèse maxillo-faciale permet de rétablir l’esthétique ainsi que les fonctions essentielles telles que la respiration, la phonation, la déglutition et la mastication. Elle se situe à un carrefour entre des spécialités médico-chirurgicales et odontologiques ayant pour objectif principal de redonner au patient une qualité de vie psychosociale acceptable.

Domaines de compétence [1]

On distingue plusieurs étiologies aux pertes de substances de la sphère oro-faciale :

• les pathologies tumorales malignes (la chirurgie d’exérèse est souvent associée à la radiothérapie et, parfois, à la chimiothérapie) ;

• les pathologies congénitales (fentes faciales, divisions labio-maxillaires, syndromes polymalformatifs) ;

• la traumatologie (balistique, accidents de la voie publique, domestiques, sportifs…).

L’ensemble de ces circonstances entraîne une perte de substances qui nécessite une reconstruction chirurgicale et/ou prothétique.

Il existe plusieurs types de prothèses maxillo-faciales :

• la prothèse extraorale, située en dehors de la cavité buccale, destinée à masquer des pertes de substances cutanées ;

• la prothèse endo-orale, située dans la cavité buccale, permettant de reconstruire une perte de substance maxillaire ou mandibulaire et/ou de rétablir les fonctions de la denture absente.

Application de la prothèse maxillo-faciale

À Nantes, notre champ d’activité s’exerce essentiellement dans le domaine des prothèses endo-orales permettant de rétablir des pertes de substances acquises tels que les obturateurs et les prothèses amovibles.

Traitement prothétique des pertes de substances acquises liées à une tumeur maligne du maxillaire

Les pertes de substances des maxillaires sont consécutives à l’exérèse de tumeurs cancéreuses des voies aéro-digestives supérieures.

La chirurgie d’exérèse occasionne souvent une communication bucco-nasale et/ou sinusienne et engendre des troubles fonctionnels et esthétiques très importants [2, 3].

Les troubles de la phonation, de la déglutition et de la mastication ainsi que l’altération des tissus mous et osseux induisent inévitablement une altération de l’état physique et psychologique du patient. Face à ces éléments défavorables, la mise en place le plus rapidement possible d’une prothèse obturatrice, permettant de rétablir l’étanchéité de la cavité buccale, est impérative.

Il est très important qu’un dialogue constructif soit instauré entre le chirurgien maxillo-facial ou ORL, le radiothérapeute et le chirurgien-dentiste afin de planifier le déroulement de la prise en charge du patient et de l’élaboration de la thérapeutique prothétique.

Chaque fois que cela est possible, il faut prendre des empreintes maxillaire et mandibulaire avant l’intervention chirurgicale. Celles-ci permettront d’échanger avec les autres partenaires de l’équipe médicale. Elles permettent également de réaliser des porte-empreintes adaptés et d’élaborer un obturateur provisoire qui sera mis en bouche immédiatement en postopératoire [2].

En effet, il est fréquent qu’après une intervention chirurgicale concernant le massif facial, le patient présente une limitation plus ou moins importante de l’ouverture buccale. Ce point constitue un handicap certain pour la prise d’empreinte a posteriori (fig. 1).

La prothèse d’usage sera mise en place à la fin du traitement, après la radiothérapie, lorsque les tissus seront cicatrisés et réépithélialisés.

Les principes de la prothèse amovible conventionnelle tels que la rétention, la stabilisation et la sustentation s’appliquent à la prothèse maxillo-faciale [4]. Comme pour la prothèse amovible, des empreintes primaires et des empreintes anatomo-fonctionnelles sont réalisées afin de confectionner le châssis métallique ou la prothèse amovible complète (fig. 2). Lors de la livraison de la prothèse, de la résine à prise retard va être mise en place dans l’intrados de la prothèse permettant ainsi de rétablir l’étanchéité de la cavité buccale afin d’éviter toute fuite d’air, de liquide ou de solide lors de la phonation ou de la déglutition. Après sa polymérisation, la résine forme une balle obturatrice, solidarisée à l’intrados de la prothèse d’usage. (fig. 3 et 4).

Lorsque la prothèse d’usage est adaptée, la balle obturatrice est transformée en résine dure.

Traitement prothétique des pertes de substances acquises liées à une tumeur maligne de la mandibule

Les chirurgies d’exérèse d’une tumeur maligne de la mandibule aboutissent fréquemment à une perte de substance mandibulaire souvent interruptrice. Dans ces cas-là, une restauration prothétique à l’aide d’une prothèse maxillo-faciale est très complexe.

Une chirurgie reconstructrice osseuse et muqueuse mandibulaire peut être indiquée afin de favoriser la restauration prothétique. Elle permet de rétablir la continuité mandibulaire, de restituer un volume osseux adéquat et une forme anatomique adaptée et de restaurer les défauts des tissus mous. Il s’agit d’une chirurgie complexe du fait de la spécificité anatomique et fonctionnelle de cette région cervico-faciale.

Les reconstructions à l’aide d’un greffon, à la suite d’une perte de substance tissulaire ou osseuse, ont rapidement mis en évidence un certain nombre de difficultés rencontrées lors de la restauration prothétique postchirurgicale. La position du greffon et la nature des tissus mous ne permettent pas toujours de réaliser une prothèse dans des conditions satisfaisantes.

Un dispositif de guidage de la cicatrisation tel qu’un conformateur va être mis en place, lors de la chirurgie de correction secondaire, par exemple une vestibuloplastie ou la section de brides cicatricielles. Ce conformateur est réalisé au laboratoire à partir d’une empreinte et sera adapté en bouche et fixé à la fin de l’intervention chirurgicale [5] (fig. 5 et 6).

Traitement prothétique à la suite d’un traumatisme balistique ou d’un accident de la voie publique

Après une tentative de suicide ou un accident de la voie publique, il est primordial de restaurer d’abord toutes les fonctions vitales.

De multiples chirurgies cervico-faciales sont réalisées, notamment des greffons de péroné ou de crête iliaque.

L’anatomie de la cavité buccale est généralement complexe avec la présence de plusieurs types de tissus (fig. 7).

Le cahier des charges de la prothèse maxillo-faciale est d’attendre une étape chirurgicale ultérieure : conformateur ou prothèse provisoire. Elle intervient également lorsque, après la dernière intervention chirurgicale, subsistent des pertes de substances tissulaires partielles et/ou des pertes dentaires.

Que ce soit dans les accidents de la voie publique ou lors de traumatismes balistiques, la pyramide nasale doit être bien souvent reconstruite et nécessite une épithèse nasale.

Apport de l’implantologie dans les prothèses maxillo-faciales

Lorsque c’est possible, une stabilisation de la prothèse maxillo-faciale à l’aide d’implants doit être envisagée.

Dans ces cas-là, en règle générale la prothèse­obturatrice est réalisée dans un premier temps puis, lorsqu’elle est correctement adaptée, une chirurgie implantaire est réalisée [6].

À propos d’un cas de restauration prothétique à l’aide d’une prothèse maxillo-faciale implantoportée

Un patient de 47 ans est adressé à l’unité fonctionnelle de prothèse maxillo-faciale, par le service de chirurgie maxillo-faciale de l’hôpital de Nantes. À la suite d’une tentative de suicide par arme à feu, ce patient a été pris en charge en urgence au CHU de Nantes.

Une fois les fonctions vitales rétablies, un aménagement des tissus osseux et des tissus mous a été réalisé au niveau du maxillaire tandis que de la mandibule a été reconstruite à l’aide d’une greffe de péroné.

Des empreintes primaires mucostatiques du maxillaire et de la mandibule sont réalisées. Pour la mandibule, un porte-empreinte de type Schreinmakers et de l’alginate sont utilisés. Pour le maxillaire, un silicone lourd sans porte-empreinte est employé compte tenu des particularités anatomiques à la suite des reconstructions maxillo-faciales.

À partir du modèle en plâtre issu de l’empreinte primaire, un porte-empreinte individuel fragmenté a été réalisé afin d’effectuer une empreinte fragmentée similaire à celle décrite par Soulet [6] (fig. 8).

L’empreinte secondaire est réalisée en trois temps. Après adaptation des porte-empreintes individuels en bouche en deux hémiporte-empreintes, la première partie de l’empreinte est effectuée à l’aide d’un polyéther de viscosité élevée et du premier hémiporte-empreinte individuel. La seconde partie de l’empreinte consiste à répéter la même procédure avec le second hémiporte-empreinte individuel. Les deux porte-empreintes individuels sont ensuite repositionnés en bouche et solidarisés à l’aide de stents (fig. 9).

Lorsque le stents a durci, l’ensemble est désolidarisé et envoyé au prothésiste.

Après détermination de la dimension verticale d’occlusion selon les critères esthétiques et phonétiques habituels, les rapports intermaxillaires sont enregistrés classiquement en relation centrée.

Le montage des dents et la finition des prothèses sont réalisés selon les procédures habituelles de la prothèse amovible.

Une fois la prothèse intégrée et validée, un guide radiologique en résine transparente est réalisé par duplication de la prothèse maxillaire (fig. 10).

En regard de 13, 11, 22 et 24, des puits parallèles sont percés dans l’intrados du guide et des bâtonnets de gutta sont introduits.

Quatre implants sont placés parallèlement en s’aidant du guide radiologique transformé en guide chirurgical.

L’intrados prothétique est rebasé au bout de 8 jours, en occlusion, à l’aide d’une résine à prise retard. Les rebasages peuvent être renouvelés pendant toute la phase de temporisation.

Au bout de 4 mois, les vis de couverture sont remplacées par les piliers de cicatrisation. L’intrados de la prothèse maxillaire, en regard des piliers de cicatrisation, est déchargé (fig. 11).

Un mois après le retrait des vis de couverture, les attachements sphériques (Locator®) sont mis en place. Quatre opercules donnant accès aux parties femelles sont réalisés dans la prothèse maxillaire. De la résine autopolymérisable est déposée dans l’intrados en regard des attachements et la prothèse maxillaire est maintenue sous pression occlusale (fig. 12 et 13).

Conclusion

La prothèse maxillo-faciale est une discipline nécessitant une étroite collaboration entre le chirurgien maxillo-facial ou ORL et le chirurgien-dentiste. Compte tenu des services rendus par ce type de prothèse, et tout particulièrement de son impact sur la qualité de vie des patients, tout doit être mis en œuvre afin d’assurer son étanchéité et sa stabilité.

Peu pratiquée par les chirurgiens-dentistes libéraux, cette activité n’est pas réalisée dans toutes les villes de France. Nantes fait partie de l’un des centres de référence pour ce type d’exercice.

  • [1] Pomar P, Dichamp J. Introduction à la prothèse maxillofaciale. Encycl Med Chir Odontologie 2004;22-066-B-50.
  • [2] Giumelli B, Saade K, Le Bars P. Traitement prothétique des pertes de substances acquises des maxillaires en cancérologie. Encycl Med Chir Odontologie 2000;23-393-A-10.
  • [3] Maire F, Kreher P, Toussaint B, Dolivet G, Coffinet L. Appareillage après maxillectomie : indispensable facteur d’acceptation et de réinsertion. Rev Stomatol Chir Maxillofac 2000;101;36-38.
  • [4] Vigarios E, Pradines M, Fusaro S. Réhabilitation prothétique des pertes de substances mandibulaires d’origine carcinologique. Encycl Med Chir Odontologie 2007;22-066-B-51.
  • [5] Sarazin G, Margainaud JP, Klob F. Apport des conformateurs dans les réhabilitations prothétiques après chirurgie carcinologique. Rev Odonto Stomatol 2009;38:83-98.
  • [6] Pomar P, Soulet H. Empreinte fragmentée : contribution à la réhabilitation prothétique de l’édenté total après maxillectomie. Actual Odontostomatol Encycl Prat 1995;191:443-447.