ÉTHIQUE
Chirurgien-dentiste, Maîtrise de philosophie et Master d’éthique médicale et biologique
En mars dernier, l’Ordre national des chirurgiens-dentistes (ONCD) rappelait, dans un courrier au ministère de la Santé puis dans sa lettre à la profession, que « les chirurgiens-dentistes ont la capacité à faire des injections à visée esthétique d’acide hyaluronique ». Il s’agissait là de défendre le champ de compétence des chirurgiens-dentistes.
Cette nouvelle, qui même si elle s’appuie sur un principe général est centrée sur une technique...
En mars dernier, l’Ordre national des chirurgiens-dentistes (ONCD) rappelait, dans un courrier au ministère de la Santé puis dans sa lettre à la profession, que « les chirurgiens-dentistes ont la capacité à faire des injections à visée esthétique d’acide hyaluronique ». Il s’agissait là de défendre le champ de compétence des chirurgiens-dentistes.
Cette nouvelle, qui même si elle s’appuie sur un principe général est centrée sur une technique particulière, n’a pas provoqué parmi nous que des réactions enthousiastes et a soulevé des interrogations. Les offres de formation sont rapidement venues frapper à la porte des cabinets.
S’il est évident que c’est l’image que l’on se fait de la profession qui est en balance et si l’ONCD n’a fait que protéger la liberté de la profession face aux attaques réelles ou potentielles d’autres professions, il semble qu’il y a là plus qu’un exercice d’interprétation du Code de la santé publique.
La situation actuelle est celle d’une augmentation de l’exigence esthétique et de l’apparition, en dentisterie, d’une demande esthétique propre. Il n’est pas d’approche de l’esthétique dentaire qui ne souligne l’importance de l’intégration du sourire dans le visage. À ce titre, les rides du visage ou des sillons naso-géniens trop marqués peuvent, s’ils sont corrigés, apporter un surplus à la beauté obtenue. Il y a l’argument que le chirurgien-dentiste, de par la finesse de ses compétences, est très bien placé pour injecter de l’acide hyaluronique.
À cela on peut opposer que la demande est souvent dictée par des problèmes d’estime de soi. Mais aucune étude ne semble écarter le traitement cosmétique au bénéfice de la seule psychothérapie ; d’autant que, parfois, le changement d’apparence aide au soin de l’âme. Accuser les patients de céder à la pression de la société n’est pas leur faire un bon procès bien que l’établissement d’une forme extrême de monstruosité standardisée me répugne. Car nous sommes tous soumis aux incitations du marché et le « consentement » est là pour améliorer la qualité de l’information sur la procédure envisagée. Sur les forums, les personnes ayant eu recours à l’acide hyaluronique soulignent l’importance d’un praticien compétent, s’étonnent parfois du tarif élevé (quoique rentable par rapport à l’achat de crèmes anti-âge) et regrettent qu’il faille y revenir plus tôt que prévu.
Dans notre société libérale, chacun peut disposer de son corps dans des limites que les injections d’acide hyaluronique ne semblent pas franchir1.
Il faudrait cependant que cette vision des choses se montre cohérente et soutienne les autres implications de cette société libérale2. Je m’interroge sur le syndrome de « pente glissante » qui fonctionne selon le principe « puisqu’une petite chose survient, alors suivra automatiquement la chose plus grave3 ». Je ne crois pas que l’introduction de ces injections aboutira à l’utilisation de Botox(r) pour d’autres rides sous les paupières. Le regard, néanmoins, appartient à l’esthétique que nous modifions dans notre pratique.
En conclusion et dans l’immédiat, il est urgent d’être prudent, mesuré et d’augmenter considérablement notre niveau de compétence. L’image de notre profession en dépend.
1. Exception faite des mineurs.
2. Jusqu’à la possibilité de concevoir un enfant pour un couple de même sexe.
3. Par exemple : qui vole un œuf, vole un bœuf.